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Du Sankara poème védantique

Atmabodha

IndeLa connaissance de l'esprit

Le grand système de la philosophie orthodoxe des Hindous, le Védânta, dont le nom même affirme l'étroite connexion avec leurs livres sacrés du nom de Védas, n’est pas encore, à l'heure qu'il est, connu en Europe dans l‘ensemble de ses sources.

Des productions de cette philosophie, quelques-unes ont été admirablement analysées, la plupart simplement indiquées par Colebrooke dans son Mémoire sur le Védânta; mais elles ne peuvent prétendre à une haute antiquité. Au moins existe-t-il des travaux supérieurs d'exégèse qui, composés au milieu de notre moyen âge par Çañkara âchârya, ont mis en valeur les principes essentiels de la doctrine; en outre il nous est venu de la même époque, et de la main du même auteur, un poème didactique qui résume les thèses fondamentales de l'école.

Ce poème, intitulé Atmabodha, ou la Connaissance de l'Esprit, nous a paru digne d'une nouvelle traduction après celle de Taylor, sur laquelle est calquée la version française de M. G. Pauthier : car c'est peut-être l'ouvrage indigène qui a popularisé avec autant de fidélité et de clarté une philosophie véritablement célèbre. En remplissant cette tâche, nous nous sommes préoccupé des transformations que le Védânta a dû subir dans le cours des siècles : c'est pourquoi nous avons fait précéder le poème de considérations sur les origines de la doctrine qu'il représente, et sur les vicissitudes de cette doctrine après l'époque à laquelle on le reporte.
Nous montrerons le rôle que Çañkara a rempli comme interprète de cette grande doctrine philosophique et théologique, au VIIe et au VIIIe siècle de notre ère, en même temps qu'il a restauré les religions brahmaniques et relevé l'ascendant de la caste sacerdotale. Pour mieux affirmer l'importance des écrits et de l'enseignement de Çañkara. nous jetterons un coup d'œil sur les productions des siècles suivants qui témoignent de leur longue influence, ainsi que sur celles des temps postérieurs qui s'éloignent de leur esprit. Nous irons même jusqu'à invoquer à cet effet la renaissance littéraire dont a joui le Védânta, au midi comme au nord de l'Inde, dans des œuvres poétiques en langue tamoule et en d'autres idiomes populaires.

Enfin nous placerons à la fin de l'introduction les renseignements nécessaires sur le texte de l'Atmabodha que nous avons pris pour base de notre traduction, sur les manuscrits que nous avons consultés et mis en rapport avec les éditions imprimées ou lithographiées de ce petit ouvrage, ainsi que sur le commentaire sanskrit anonyme dont nous nous sommes aidé et dont nous avons reproduit des extraits dans une analyse suivie des stances du poème.

Si la composition des écritures védiques remonte jusqu'au berceau de la civilisation des Aryas, on induirait avec vraisemblance que les systèmes de philosophie qui s'y rattachent et qui en invoquent l'autorité sont de beaucoup les plus anciens : en fait, toutefois, leur formation et leur développement se présentent sous un tout autre aspect. Des deux branches réputées orthodoxes de la science et de la spéculation indienne, la plus importante n’a pris sa pleine extension que quand elle fut un moyen de lutte contre les systèmes de philosophie indépendante et leurs conséquences pratiques; or l'antagonisme éclata seulement lorsque ceux-ci eurent ruiné les bases de l'édifice social fondé sur la révélation des Védas et sur l'autorité du sacerdoce brahmanique. Depuis Colebrooke jusqu'aux derniers historiens de la philosophie indienne, dont quelques-uns sont des savants indigènes, il ne s'est produit qu'une seule opinion sur l'ordre chronologique des Darçanas ou systèmes de philosophie au nombre de six tous considèrent le Védânta. en tant que doctrine développée, discutée, faisant école, comme le plus récent des grands systèmes.

Philosophie spéculative par essence, le Védânta fut en germe, dirait-on, dans tous les travaux qui suivirent la rédaction écrite des Védas, surtout dans ceux qui dépassèrent leur interprétation littérale. Vint le moment où l'on essaya de formuler une cosmogonie et une théogonie ayant leurs racines dans les Écritures, où l'on tenta de réduire en théorie les opinions reçues sur le monde, sur l'âme et la destinée humaine, de les compléter par une démonstration : dès lors, selon toute apparence, se produisit un idéalisme panthéistique identique au fond à celui qu'a consacré le système élaboré beaucoup plus tard et désormais connu sous la dénomination de Védânta. ll se forma de bonne heure un mot abstrait pour désigner le travail de la pensée philosophique, Mîmâñsâ, « désir de connaître; » c'est qu'en effet la recherche, la spéculation tenait une très-grande place dans les entretiens des différentes écoles de brahmanes, occupées de science religieuse, et aussi dans les controverses qui ne tardèrent pas à s'élever entre plusieurs écoles.

Bientôt on distingue entre la spéculation plutôt pratique qui traitait de l'accomplissement des actes recommandés par le Véda, et la véritable spéculation philosophique qui touchait aux plus hauts problèmes de métaphysique et de théologie. L'une fut appelée Karma-Mîmâñsfî ou « Mîmâñsâ des œuvres, » c'est-à-dire des-devoirs religieux d'un ordre élevé et aussi des plus minces prescriptions devant assurer au croyant des mérites dans cette vie et au delà; la seconde fut appelée Brahma-Mimâñsâ «investigation de Brahma, c'est-à dire de la science divine : en d'autres termes, la théologie contemplative et mystique. Cette partie supérieure du savoir brahmanique ne cessa pas d'être cultivée, tandis que les études auxiliaires de l'interprétation des Védas étaient portées par un lent travail à leur dernier terme; telle fut l'origine des six branches de l'exégèse védique que M. Max Miller a décrites avec tant de détails dans son livre capital sur la plus ancienne littérature de l'Inde’; elles furent l'objet des traités nommés Védâñgas ou «membres du Véda dans un sens restreint » grammaire, prononciation, prosodie et métrique. exégèse, rituel, astronomie (Vyâkarana, çikshâ, chhandas, nirukta, kalpa, djyotisha). Quant aux pratiques journalières du culte, l'instruction la plus minutieuse était donnée aux disciples sur leur observance et sur leur valeur.

Le Védânta est ancien en tant que formule de l'idéalisme; il apparut aussitôt que, la conquête du nord de la Péninsule étant terminée, la race des Aryas étant maîtresse de toute la vallée du Gange, les brahmanes engagèrent la lutte pour établir leur prépondérance sur les rois et les guerriers. On était encore fort loin d'une théorie semblable à celle qui fut élaborée par. Bâdarâyana dans le célèbre recueil de Sûtras dont nous devrons parler; mais ce n'en était pas moins une doctrine aboutissant à l'idée fondamentale du Védânta, l'idée (le Brahma comme de l'Esprit absolu, de l'Être pur. Si l'on ne peut prétendre, en remontant aussi haut, à des définitions exactes, du moins est-on en possession d'inductions fournies à la fois par la langue et par divers monuments littéraires. Ainsi acquiert-on la conviction que la spéculation d'où sortira un jour le Védânta avait ses racines dans les croyances nationales du peuple dominateur, et qu'elle fut l'objet d'un enseignement traditionnel, quand même elle n'aurait point passé dans des traités spéciaux et didactiques analogues à ceux qui servaient à établir et à défendre des doctrines philosophiques plus indépendantes.

Le nom de Védânta, signifiant « fin, conclusion du Véda, » était entendu, dans le principe et par le plus grand nombre, d'une haute science, dernier but de toute recherche, de tout effort de l'esprit. C'est en ce sens qu'il est usité dans le code de Manou, dont la première rédaction remonterait au v‘ siècle avant Jésus-Christ : le Védânta, c'est la doctrine que doit connaître et approfondir celui qui aspire au quatrième degré de la vie religieuse l, qui veut être sannyasî ou ascète accompli.

Les rédacteurs du Mânava-dharma-çâstra semblent avoir employé le mot Védânta dans une acception antique, plus large que la désignation d'un grand système philosophique. Comme il ressort des investigations récentes d'un indianiste allemand, ce mot aurait indiqué au pluriel comme au singulier, la littérature théologique dans son ensemble. Çañkara l'a entendu de cette façon dans son interprétation de passages importants des Brahma-Sâtras. et on ne serait pas autorisé par les gloses de Kullùka Bhatta sur Manou à le restreindre, pour les temps anciens, à la seule collection des Oupanischads. Il est bien vrai que, dans la suite des temps, les défenseurs du système vérlânta se sont référés avec un respect tout particulier au témoignage des Oupanischads comme à celui de sources de la plus grande autorité; mais d'autres sectes, moins fidèles à l'esprit de la révélation védique. Ont élevé aussi la prétention d'invoquer ces mêmes monuments dans toute espèce de questions. Il reste au moins avéré, quand même on appliquerait pas le nom de Védânta aux seuls Oupanischads, qu'il convenait éminemment à ces méditations philosophiques, pénétrées de l'esprit religieux propre aux anciens Aryas, comme il respire dans leurs hymnes et chants liturgiques; la langue et le style attestent, aussi bien que les pensées, l'âge vraiment ancien de ces ouvrages que les lois et les coutumes ont toujours recommandés à la vénération des Hindous.
Si l'on comprend sous la dénomination de Védântu tout un ordre de conceptions métaphysiques et religieuses, antérieures à la formation de l'école proprement dite, on attribuerait dans la même période au nom de Védângas un sens plus étendu que celui des six sciences auxiliaires, ainsi appelées dans le répertoire des écrits brahmaniques.

Extrait de l'atmabodha de M. Félix Nève

2006

Bhakti