Plotin, une biographie du XIXe siecle
Biographie de Plotin.
PLOTIN
le philosophe le plus distingué de l'école néoplatonicienne, intelligence puissante qui transporta au cœur de la société romaine les subtilités des philosophies brahmanique et persane, et qui joignant l'exemple aux préceptes, vint montrer au sensualisme de la ville des Césars l'ascétisme et l'austérité des gymnasophiles. Si l'on pouvait admettre l'influence insaisissable des lieux sur l'organisme, la pente des idées de Plotin nous paraîtrait moins extraordinaire, car il vit le jour à Lykopolis sur les bords du Nil, sur ce sol des hautes conceptions intellectuelles, vers l'an 205 après J-C. Ce ne fut qu'à 28 ans que Plotin eut conscience de sa vocation, et alors il entra dans l'école d Ammonius Saccas, qu'il fréquente plus de 11 ans. Là il se trouva en contact avec des doctrines qui entraient dans sa manière d'envisager les choses extérieures, en sacrifiant continuellement le raisonnement aux vagues spéculations de l'esprit. " Le voilà s'écria t'il après avoir entendu pour la première fois le philosophe alexandrin, le voilà celui que je cherchais".
D'Egypte, il entreprit un voyage vers les régions de l'orient, et tout porte à croire qu'il fut initié aux mystérieuses réunions des mages et des brahmes. Mais il parait toutefois que son insatiable curiosité ne fut pas alors complètement satisfaite, car, à 39 ans, il s'engagea dans les armées romaines que Gordien menait en Asie, dans l'espoir de saisir à leur suite toute la profondeur des préceptes professés par les prêtres persans. L'expédition ayant échoué, Plotin eut beaucoup de peine à sauver sa vie, et ne revit Rome avec les débris de l'armée qu'un an après son départ.
Là il établit une école de philosophie, où en peu de temps on vit afluer un concours immense d'auditeurs et de disciples de tout rang, de tout âge, de tout sexe. On vit des dames romaines cultiver la philosophie sous sa direction, et il eut des disciples jusque dans le sénat. Son costume, son silence mystérieux, ses jeûnes fréquents et austères, la nouveauté et la sublimité de ses dogmes, produisirent une sensation extraordinaire, et lui méritèrent à un haut degré la vénération des masses. Et cela fut poussé à un tel point, qu'on le prenait pour arbitre dans les procès et qu'au lit de mort, un grand nombre de personnages mettaient leurs biens et leurs enfants sous sa protection comme sous celle d'un ange tutélaire. L'empereur Gallien et l'impératrice Salonine eurent même le projet de lui faire reconstruire dans la Campanie, sur l'emplacement d'une cité ruinée, une ville où il réaliserait la république idéale de Platon. Mais on avait déjà tout fait pour le perdre, et on y réussit si bien dans cette occasion que l'idée fut abandonnée par ceux qui l'avaient conçue.
La vieillesse ayant obligé Plotin à cesser ses leçons de philosophie, il se fit transporter en Campanie chez les héritiers d un de ses amis, qui pourvurent à tous ses besoins jusqu'à sa mort, arrivée l'an 270 de J-C, il avait alors 66 ans.
- "Je fais, dit-il, en expirant, un dernier effort pour ramener ce qu'il y a de divin en moi à ce qu'il y a de divin dans l'univers".
Les opinions de Plotin nous ont été conservées par Porphyre, le plus ardent de ses disciples et de ses admirateurs, pour lequel il composa 24 livres. Il en avait déjà réuni 21, qui joints aux 9 qu'il écrivit depuis, composent la totalité de ses œuvres.
Elles sont divisées en 6 sections appelées Ennéades du grec enne'a (neuf) parce que chacune contient neuf traités ou chapitres. En 1492, Marsile Ficin fit imprimer à Florence, une traduction latine de Plotin avec des sommaires et des analyses sur chaque livre. Cette version qui est rare et recherchée, fut réimprimée à Bâle en 1559 et plus tard en 1580, avec le texte grec. Creutzer a mis au jour un de ses ouvrages qui traite du beau, et Engelhart a publié ses œuvres complètes. (Erlangen 1820-23).
Les œuvres de Plotin se font remarquer par une immense érudition, un génie élevé, une imagination vive et hardie, toute brillante d'idées sublimes et ingénieuses, mais elles sont presque toujours si abstraites que la lecture en est dificile et ennuyeuse, et que c'est probablement pour ce motif que la philosophie de cet homme éminent n'est pas aussi connue qu'elle mériterait de l'être. Peut être y a t-il à craindre aussi que ses dogmes ne nous soient pas parvenus dans toute leur pureté par l'intermédiaire de Porphyre, qui peut bien les avoir rédigées sous l'influence de ses propres idées
- La dernière parole de Plotin est l'expression la plus complète de sa philosophie. Rapprocher l'homme de l'esprit qui anime le monde, de ce qui émane de Zeus, le dieu des dieux, isoler l'âme du corps, l'élever jusqu à la contemplation de la Divinité, voilà ce que le sage mourant recherchait par dessus toute chose.
Il était alors logique pour lui comme pour les gymnosopbistes, que le corps ne constituait qu'une enveloppe indigne de tout soin, de toute attention. Il soutenait même que les corps n'ont pas d'existence réelle et qu'ils ne sont qu'un produit éphémère et variable de l'âme. Ne nous étonnons donc pas de le voir rougir d'être logé dans cette prison fragile, refuser de jamais dire ni le jour, ni le mois, ni le lieu de sa naissance, et rejeter tout remède dans les maladies fréquentes que lui occasionnaient ses abstinences et son application.
Il ne voulut jamais non plus permettre qu'on reproduisît son image et répondit un jour à Amelius son disciple, qui lui faisait une demande de ce genre : "N'est ce pas assez de traîner partout avec nous cette enveloppe dans laquelle la nature nous a jetés, sans qu'il soit besoin encore d'en transmettre aux siècles futurs, une copie comme un spectacle digne de leur admiration."
Comme Platon, il admettait l'âme du monde, c-à -d une substance spirituelle répandue dans toutes les parties de l'univers et communiquant à chacune la vie et le mouvement; mais il prétendait, (et en cela il différait de Platon), que les facultés inférieures de l'âme, l'imagination, la mémoire, les passions, ne venaient point de l'âme du monde mais des corps.
Du reste, Plotin, par suite de ses idées, eut toujours des habitudes bizarres, et il n y a pas lieu d'en être surpris. Ce qui étonnera davantage, c'est qu'avec cette supériorité d'intelligence, il ait payé aussi son tribut aux faiblesses de notre humanité, mais l'homme dominera toujours chez l'homme. Le profond philosophe était, comme tant de médiocrités, d'une présomption extrême. Amelius l'invitant à sacrifier aux dieux "C'est à eux, répondit Plotin, de venir à moi et non pas à moi d aller à eux".
Placez maintenant cette réponse, si elle est vraie, en regard de ce détachement des choses terrestres qui domine surtout dans ce beau caractère, et dites nous combien il est passé sur ce misérable globe d'êtres intelligents qui aient pu se dire de véritables philosophes.
Dictionnaire de la conversation et de la lecture. O
2020
Socrate
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