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  • les émotions

Les sentiments, une analyse du XIXe siècle

Qu'est ce que le sentiment ?

sentiments

SENTIMENT

Le mot "sentiment" pris dans son acception philosophique, s'applique à tous phénomènes affectifs, c est à dire à tous plaisirs et à toutes les peines qui naissent immédiatement d'un phénomène intellectuel ou d'un phénomène d'activité ou si l'on veut, qui résultent du développement de l'intelligence du principe actif. Ainsi le sentiment diffère de la sensation en ce que celle-ci, bien que phénomène affectif, naît immédiatement à la suite d'une modification de l'organisme et a un fait matériel pour condition d'existence (voy plus haut notre article SENSATION).

Le sentiment, dans le sens rigoureux du mot, diffère encore des phénomènes complexes de la sensibilité qu'on désigne sous les noms d'amour, de haine, d'affection, de passion, en ce qu'il ne consiste que dans un simple fait de plaisir et de peine, et qu'il laisse l'âme encore passive à l'égard de l'objet qui excite en elle le phénomène affectif, tandis que l'amour qu'on qualifie aussi de sentiment dans la langue usuelle, est un fait complexe qui comprend et le phénomène affectif, et le fait d'activité qui se développe en nous quand l'âme par un mouvement qui lui est propre, se porte au devant de l'objet de ses sympathies.

On a confondu aussi le sentiment avec l'idée obscure, la notion à son origine. Plusieurs causes ont amené cette confusion grave. Nous signalerons d'abord le langage qui autorise à faire usage du mot ; sentir, dans deux acceptions bien différentes; en effet, on emploie souvent ce mot, dans le sens de comprendre; ainsi l'on dira : "Je sens la force de vos raisons" au lieu de "Je comprends, je saisis, la force de vos raisons", "Avoir le sentiment de sa faiblesse" au lieu de "Avoir la conscience de sa faiblesse" etc.

Puis l'on dira en donnant un tout autre sens à ce mot : "Je sens, c'est à dire j'éprouve, de l'amitié pour vous", "la vue de ma patrie m'a causé un sentiment inexprimable de joie" etc. Il suffit des lumières naïves du sens commun pour n'être point la dupe de cet abus de langage d'une expression figurée, dont il est si facile de démêler la signification propre. Mais c'est bien moins à ces lumières qu'à l'esprit de système, que les philosophes ont recours, quand ils veulent étudier la nature humaine. Aussi profitant de cette confusion de mots, ils n'ont vu dans le sentiment, que les premières lueurs de l'intelligence, les notions confuses par lesquelles elle débute, et ils ont complètement négligé de considérer le fait de plaisir et de peine, apparemment parce qu'ils ne lui ont point reconnu d'importance. Ainsi ils ont distingué ; le sentiment sensation, le sentiment des rapports, le sentiment des facultés de l'âme, et le sentiment moral; et ils ont assigné ces différentes sortes de sentiments pour origine à toutes nos idées.

La réfutation de ce système, se trouve dans la distinction que nous avons déjà faite de la perception et de la sensation. Nous nous contenterons donc d'y répondre en peu de mots. Nous prendrons pour exemple la notion d un rapport qu'on a qualifié de sentiment en faisant ici violence au langage car on n'avait jamais dit auparavant le sentiment d'un rapport pour la connaissance d'un rapport. Il est hors de doute que les rapports sont pour nous des sources de peine ou de plaisir, c'est à dire qu'à l'occasion d'un rapport de convenance ou de disconvenance que nous aurons perçu, notre âme sera péniblement, ou agréablement, affectée. Mais ce fait lui même sert à prouver que nous sommes intelligents avant d'être sensibles.

En effet si la convenance nous agrée, si la disconvenance nous déplaît, c'est que nous avons perçu ces rapports de convenance ou de disconvenance, autrement, ils seraient pour nous comme s'ils n'existaient pas, et par conséquent ils ne pourraient nous plaire ni nous déplaire. Si Virgile nous plaît quand il compare la douleur d'Orphée à celle de l'oiseau plaintif qui fait retentir les airs de ses harmonieux regrets, c'est que nous avons saisi, d'abord le rapprochement ingénieux du poète, c'est que nous avons perçu déjà les rapports de ressemblance qui existent entre les deux termes de sa comparaison.

Le sentiment ne précède donc point la notion du rapport, il la suit au contraire, puisque cette notion est pour lui une condition d'existence. Il faut donc se garder de confondre la connaissance à son début, l'idée confuse, avec le plaisir ou la peine. L'idée confuse, par cela même qu'elle est confuse, est déjà une idée, un fait intellectuel. Le caractère de confuse, n'entraîne nullement le caractère affectif, il implique, au contraire, celui de représentatif, qui constitue la notion. C'est la représentation d'un objet dans l'esprit, qu'on peut qualifier de vague, de confuse, d'indistincte, d'obscure, comme on la qualifie aussi, de claire, de distincte, de précise, mais ce n'est point la joie, ou la douleur, qu'on qualifiera ainsi.

Un plaisir est vif, doux, délicieux, il n'est point obscur ou confus. Une douleur est amère, cuisante, et n'est pas indécise ou obscure. On voit ici, que le langage qui pouvait tromper un moment par ses ambiguïtés, nous ramène lui même dans la voie de la vérité, et fait justice de ses propres abus. Mais je suppose que le premier fait qui s'éveille en nous à l'occasion d'un rapport soit de plaisir ou de peine, je suppose qu'on me passe cette supposition puisqu'elle a été érigée en doctrine, que ce sentiment se transforme en idée, que résultera t-il de la métamorphose; que la notion aura pris la place du sentiment. Que deviendra donc celui-ci; il aura donc disparu.

Une fois qu'un rapport de convenance aura été réellement perçu par l'esprit, dès lors, c'en est fait du plaisir qui nous l'avait annoncé. Mais pourtant, quoi de plus contraire aux faits ? Comment nier que le plaisir survit à l'acquisition de l'idée et que plus nous percevrons clairement ce rapport, plus le plaisir qui s'y rattache sera vif et complet. Au reste, pour se convaincre que le sentiment est autre chose qu'une idée confuse, on n'a qu à l'examiner sous ses différentes faces, le suivre dans ses développements divers, et bientôt l'on sera convaincu que c'est un fait à part qui a sa nature propre et qui existe dans l'âme, comme un de ses attributs essentiels, à côté de l'élément intellectuel, qui n'a de commun avec lui, que d'occasionner son apparition dans la conscience.

Si au lieu de bâtir des systèmes et de vouloir expliquer en quelques mots la nature de l'esprit humain, on s'était borné à faire simplement l'analyse des faits qu'il présente, on aurait bientôt renoncé à confondre ce qui sera éternellement distinct; et la théorie des sentiments, déroulée à côté de celle des connaissances, aurait jeté un jour nouveau sur la science psychologique, et aurait démontré par son existence même, mieux que par tous les raisonnements, que l'élément affectif a sa nature propre, qu'il est un des principes essentiels, et constitutifs de notre être irréductible à aucun autre, et auquel aucun autre ne peut être ramené.

Passons nous mêmes rapidement en revue les principales sortes de sentiments dont l'âme peut être affectée. Nous aurons d'abord à signaler tous ceux qui naissent du développement de l'intelligence, nous examinerons ensuite, ceux auxquels donne lieu le développement de l'activité. Les perceptions de couleur, de forme, et de mouvement, sont pour nous, des sources intarissables de jouissances. Témoin l'azur des cieux, la parure des vertes campagnes, le brillant émail d'un parterre, et ces mille nuances, ces mille combinaisons de couleurs, que la nature ou l'art, placent tous les jours sous nos yeux. Mais les couleurs sombres, ternes ou livides, nous déplaisent et nous attristent.

La perception des formes, n'excite pas en nous des sentiments moins variés, ni moins nombreux et depuis le coquillage qui se cache dans le sable des mers, jusqu'au peuplier qui s'élance dans la nue, jusqu'au temple majestueux qui domine nos cités, que d'objets qui charment nos regards et commandent notre admiration, mais que d'objets aussi dont les formes anguleuses, incorrectes, nous choquent et nous font détourner les yeux. Nous aimons à voir des mouvements vifs, gracieux, faciles, les mouvements lents, heurtés, pénibles, nous font souffrir. Que dirai-je des sons, du ravissement où nous jette une douce mélodie, de la blessure qui semble nous déchirer quand des notes discordantes, ou trop aiguës, se font entendre.

Les plaisirs qui naissent des perceptions, ont donné naissance à tous les arts, car c'est à les reproduire, que s'évertuent le peintre, le sculpteur, l'architecte, le danseur, le musicien. Si les qualités de la matière sont des trésors toujours ouverts pour la sensibilité, les phénomènes de l'âme sont aussi des sources fécondes où elle va puiser tous les jours. Quoi de plus flatteur pour nous que l'action heureuse et facile de l'intelligence, qu'une succession d'idées qui se déroulent naturellement et sans effort, soit que nous mêmes nous soyons le théâtre de ces phénomènes, soit que ce spectacle s'offre à nous dans autrui par le miroir du langage. De là le plaisir qu'on trouve dans la rêverie et dans toutes les scènes que l'imagination nous présente; de là aussi, le plaisir que nous éprouvons à entendre parler avec abondance, méthode, et clarté, plaisir indépendant de celui qui peut naître des objets mêmes, que les idées rappellent.

L'activité nous présente non moins un spectacle intéressant, nous applaudissons à la force qui surmonte les obstacles et atteint avec facilité le but de ses efforts, nous plaignons au contraire celui qui lutte en vain, et nous souffrons presque autant que lui, à la vue de son impuissance, quant à celui qui agit pour accomplir le bien, ses efforts sont pour nous l'objet de l'admiration la plus vive, de même que notre indignation poursuit l'homme qui agit librement pour détruire l'ordre établi par la nature. Mais quoi de plus propre à remuer notre âme, que les scènes qui nous sont offertes par la sensibilité. Etre averti de la joie ou de la souffrance d'autrui, c'est jouir ou souffrir soi-même. Et qu'on ne croie pas que les sentiments que nous éprouvons alors, ne sont que la répétition de ce qui se passe dans une autre âme. Ce qui prouve que le spectacle des phénomènes de la sensibilité, est pour nous la source de peines ou de plaisirs qui ont leur nature propre, c'est que souvent, la vue de souffrances et d'angoisses cruelles, excite en nous des émotions dont nous sommes avides et auxquelles nous attachons le plus grand prix. Cette action ce reflet de la sensibilité sur elle même, est ce qui éveille les sentiments les plus vifs, aussi les poètes sont-ils sûrs de ne pouvoir nous plaire davantage, que lorsqu'ils nous présentent la peinture des émotions et des passions de toute sorte, qui font battre le cœur humain.

La troisième espèce des sentiments qui sont dus aux phénomènes intellectuels, comprend tous ceux auxquels donne naissance la perception des rapports. Les rapports de convenance et de disconvenance, considérés en eux mêmes, sont pour nous la source de sentiments aussi énergiques que variés. Ainsi nous aimons à remarquer de la ressemblance entre deux objets qui au premier abord nous paraissent indifférents. De là le plaisir que nous trouvons dans les comparaisons que les poètes ont soin de multiplier dans leurs œuvres. De là aussi, l'intérêt qu'ont pour nous, ces jeux de mots qui nous présentent une relation de ressemblance et même d'identité sous le rapport de l'expression entre deux idées entièrement disparates, et ces jeux d'esprit qui nous présentent au contraire, deux idées comme incompatibles, et qui nous en laissent apercevoir la convenance sous l'incohérence de l'expression (voy CALEMBOUR, RIRE).

Toutes les figures qu'emploie la poésie, ou même la langue usuelle, ne nous plaisent pas à d'autre titre. En effet, la substitution du terme figuré au terme propre nous agrée en ce que nous apercevons la convenance qui existe entre les idées, quoique dans l'expression elles ne puissent se convenir. Les rapports de différence ou de disconvenance, excitent en général un sentiment pénible. Cependant, quand la différence est fortement tranchée, quand elle donne lieu à un contraste, elle nous affecte tout autrement, car les contrastes ont souvent fourni aux poètes leurs plus grandes beautés. Si nous considérons maintenant, non plus les rapports simples, mais les rapports généralisés, c'est à dire, les lois de la nature (car une loi n'est autre chose qu'un rapport généralisé par l'esprit et envisagé comme permanent et invariable), nous allons voir apparaître des sentiments d'une autre espèce, les plaisirs que procure la connaissance de la vérité, ou l'inquiétude, la souffrance de l'esprit, quand sa faiblesse lui en dérobe le flambeau.

Remarquons que, parmi les vérités, celles qui nous agréent davantage et nous affectent le plus vivement sont les vérités relatives à la nature humaine. C'est pour cela que l'histoire des peuples et des individus, a pour nous plus d'intérêt que celle des oiseaux ou des quadrupèdes, c'est pour cela que le drame qui a pour but de nous retracer les principaux traits de la nature humaine, a tant de charmes pour nous, et que l'œuvre dramatique qui a le plus de succès et d'avenir, est celle où l'auteur s'est moins attaché à exciter en nous des émotions vives, qu'à exprimer fidèlement les lois de notre nature.

Il est encore une idée qui est pour nous la source d'un sentiment à part, c'est celle de l'infini. Quelque accablante qu'elle soit pour la faible raison de l'homme, elle ne laisse pas de remuer son âme par les plus profondes émotions, et le sentiment qu elle fait naître est l'origine du sentiment religieux, sentiment dont la puissance ne saurait être comparée à aucun autre. Il est vrai qu'il a de nombreux auxiliaires, mais ce qui lui donne sa principale force, c'est que l'homme applique l'idée d'infini à la puissance, à l'amour, à la sagesse de son créateur.

Nous n'avons présenté ici que les faits élémentaires de la sensibilité. Que serait ce si nous les suivions dans toutes leurs combinaisons ? Il nous faudrait plusieurs volumes. Nous ne pouvons cependant passer sous silence les sentiments qui donnent naissance aux affections sociales et qui consistent principalement dans les plaisirs que nous fait éprouver la vue d'êtres semblables à nous, et qui nous agréent par tous les phénomènes de sensibilité, d'activité ou d'intelligence qu'ils nous manifestent. Ces sentiments ont reçu, à bon droit, le nom de sympathiques. On appelle par opposition antipathie, le sentiment pénible que nous éprouvons à la vue des défectuosités de notre nature. Nous signalerons également, parmi les sentiments complexes, celui que nous éprouvons en quittant ou en retrouvant le lieu qui nous a vus naître et grandir, et dont la vue nous rappelle tant d'objets, tant d'événements auxquels se rattachent tant de douces émotions. Nous serions aussi par trop incomplets si nous ne nommions au moins l'espérance, la crainte, le regret, le désespoir, sentiments qui naissent à la pensée d'un bien ou d'un mal à venir, ou d'un bien perdu et perdu sans retour (voy DOULEUR MORALE).

Quant aux sentiments qui naissent à la suite du développement de l'activité, ils sont de deux sortes. Comme nous pouvons en agissant nous proposer deux buts différents, ou un but intéressé, ou un but moral, les sentiments différeront selon qu'ils naîtront à la suite du développement de notre activité dans l'un ou dans l'autre sens. D'une part nous aurons les plaisirs qui résulteront de l'action facile et heureuse de notre force, les joies du succès; puis les plaisirs qui résultent de la liberté, de la puissance, de la possession; puis aussi les souffrances de l'activité arrêtée dans ses efforts, impuissante à atteindre son but, les douleurs de l'esclavage, de l'abaissement, de la misère. D'un autre côté, nous aurons les plaisirs que procure la conscience à celui qui a déployé son activité pour concourir, autant qu'il était en lui, à l'accomplissement du bien, de la loi établie par la sagesse éternelle, puis les peines de la conscience, c'est-à-dire, les remords qu'éprouve l(homme qui a travaillé sciemment à détruire l'ordre, le bien, et qui s'est mis en opposition et en état de révolte contre le principe de tout bien, de tout ordre. Les joies et les remords de la conscience, ces sentiments que nous signalons les derniers, sont à coup sûr les premiers de tous par leur importance, car ils réalisent ce que l'homme poursuit avec tant d'ardeur, ce qu'il fuit avec tant d'effroi, le bonheur et le malheur

Dictionnaire de la conversation et de la lecture 1833. C.M. PAFFE

2020

La Honte

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