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Fontenelle

Traité du bonheur

Bernard de Fontenelle, né à Rouen en 1657 et mort à Paris en 1757 philosophe françaisSuite ..

 Il y a sur terre plus de bonheur que d'heureux. Bernard Fontenelle ; Les pensées et réflexions (1757)

Un grand obstacle au bonheur, c'est de s'attendre à un trop grand bonheur. Figurons-nous qu'avant que de nous faire naître, on nous montre le séjour qui nous est préparé, et ce nombre infini de maux qui doivent se distribuer entre ses habitants. De quelle frayeur ne serions-nous pas saisis à la vue de ce terrible partage où nous devrions entrer ? et ne compterions-nous pas pour un bonheur prodigieux d'en être quittes à aussi bon marché qu'on l'est dans ces conditions médiocres, qui nous paraissent présentement insupportables ? les esclaves, ceux qui n'ont pas de quoi vivre, ceux qui ne vivent qu'à la sueur de leur front, Ceux qui languissent dans des maladies habituelles ; voilà une grande partie du genre humain. A quoi a-t-il tenu que nous n'en fussions ? apprenons combien il est dangereux d'être hommes, et comptons tous les malheurs dont nous sommes exempts pour autant de périls dont nous sommes échappés.

Une infinité de choses que nous avons et que nous ne sentons pas, feraient chacune le suprême bonheur de quelqu'un : il y a tel homme dont tous les désirs se termineraient à avoir deux bras. Ce n'est pas que ces sortes de biens, qui ne le sont que parce que leur privation serait un grand mal, puissent jamais causer un sentiment vif, même à ceux qui seraient les plus appliqués à faire tout valoir. On ne saurait être transporté de se trouver deux bras : mais en faisant souvent réflexion sur le grand nombre de maux qui pourraient nous arriver, on pardonne plus aisément à ceux qui arrivent. Notre condition est meilleure quand nous nous y soumettons de bonne grâce, que quand nous nous révoltons inutilement contre elle.

Nous regardons ordinairement les biens que nous font la nature et la fortune comme des dettes qu'elles nous paient, et par conséquent nous les recevons avec une espèce d'indifférence ; les maux au contraire nous paraissent des injustices, et nous les recevons avec impatience et avec aigreur. Il faudrait rectifier des idées si fausses. Les maux sont très communs, et c'est ce qui doit naturellement nous échoir : les biens, sont très rares, et ce sont des exceptions flatteuses faites en notre faveur à la règle générale.

Le bonheur est en effet bien plus rare que l'on ne pense. Je compte pour heureux celui qui possède un certain bien que je désire, et que je crois qui ferait ma félicité : le possesseur de ce bien-là est malheureux ; ma condition est gâtée par la privation de ce qu'il a, la sienne l'est par d'autres privations. Chacun brille d'un faux éclat aux yeux de quelque autre, chacun est envié pendant qu'il est lui-même envieux ; et si être heureux était un vice ou un ridicule, les hommes ne se le renverraient pas mieux les uns aux autres. Ceux qui en seraient les plus accusés, les grands, les princes, les rois, seraient justement les moins coupables. Désabusons-nous de cette illusion qui nous peint beaucoup plus d'heureux qu'il n'y en a ; et nous serons ou flattés d'être du nombre, ou moins irrités de n'en être pas.

Puisqu'il y a si peu de biens, il ne faudrait négliger aucun de ceux qui tombent dans notre partage; cependant on en use comme dans une grande abondance, et dans une grande sûreté d'en avoir tant qu'on voudra : on ne daigne pas s'arrêter à goûter ceux que l'on possède ; souvent on les abandonne pour courir après ceux que l'on n'a pas. Nous tenons le présent dans nos mains ; mais l'avenir est une espèce de charlatan, qui en nous éblouissant les yeux, nous l'escamote. Pourquoi lui permettre de se jouer ainsi de nous ? pourquoi souffrir que des espérances vaines et douteuses nous enlèvent des jouissances certaines ? il est vrai qu'il y a beaucoup de gens pour qui ces espérances mêmes sont des jouissances y et qui ne savent jouir que de ce qu'ils n'ont pas. Laissons-leur cette espèce de possession si imparfaite, si peu tranquille, si agitée, puisqu'ils n'en peuvent avoir d'autre ; il serait trop cruel de la leur ôter : mais tâchons, s'il est possible, de nous ramener au présent, à ce que nous avons, et qu'un bien ne perde pas tout son prix parce qu'il nous a été accordé.

Ordinairement on dédaigne de sentir les petits biens, et on n'a pas le même mépris pour les maux médiocres. Que la chose soit du moins égale. Si le sentiment des biens médiocres est étouffé en nous par l'idée de quelques biens plus grands auxquels on aspire, que l'idée des grands malheurs où l'on n'est pas tombé, nous console des petits.

Les petits biens que nous négligeons, que savons-nous si ce ne seront pas les seuls qui s'offrent à nous ? ce sont des présents faits par une puissance avare, qui ne se résoudra peut-être plus à nous en faire. Il y a peu de gens qui quelquefois en leur vie n'aient eu regret à quelque état, à quelque situation dont ils n'avaient pas assez goûté le bonheur. Il y en a peu qui n'aient eux-mêmes trouvé injustes quelques-unes des plaintes qu'ils avaient faites de la fortune. On a été ingrat, et on est puni.

Il ne faut pas, disent les philosophes rigides, mettre notre bonheur dans tout ce qui ne dépend pas de nous ; ce serait trop le mettre à l'aventure. Il y a beaucoup à rabattre d'un précepte si magnifique : mais le plus qu'on en pourra conserver, ce sera le mieux. Figurons-nous que notre, bonheur devait entièrement dépendre de nous, et que c'est par une espèce d'usurpation que les choses de dehors se sont mises en possession d'en disposer : ressaisissons-nous autant qu'il est possible d'un droit si important, et si dangereux à confier ; remettons sous notre puissance ce qui en a été détaché injustement.

D'abord, il faut examiner, pour ainsi dire, les titres de ce qui prétend ordonner de notre bonheur ; peu de choses soutiendront cet examen, pour peu qu'il soit rigoureux. Pourquoi cette dignité que je poursuis m'est-elle si nécessaire ? c'est qu'il faut être élevé au-dessus des autres. Et pourquoi le faut-il ? c'est pour recevoir leurs respects et leurs hommages. Et que me feront ces hommages et ces respects ? ils me flatteront très sensiblement. Et comment me flatteront-ils, puisque je ne les devrai qu'à ma dignité, et non pas à moi-même ? Il en est ainsi de plusieurs autres idées qui ont pris une place fort importante dans mon esprit : si je les attaquais, elles ne tiendraient pas longtemps. Il est vrai qu'il y en a qui feraient plus de résistance les unes que les autre : mais selon qu'elles seraient plus incommodes et plus dangereuses, il faut revenir à la charge plus souvent et avec plus de courage. Il n'y a guère de fantaisie que l'on ne mine peu à peu, et que l'on ne fasse enfin tomber à force de réflexions.

Mais comme nous ne pouvons pas rompre avec tout ce qui nous environne, quels seront les objets extérieurs auxquels nous laisserons des droits sur nous ? ceux dont il y aura plus à espérer qu'à craindre. Il n'est question que de calculer, et la sagesse doit toujours avoir les jetons à la main. Combien valent ces plaisirs-là, et combien valent les peines dont il faudrait les acheter, ou qui les suivraient ? on ne saurait disconvenir que selon les différentes imaginations les prix ne changent, et qu'un même marché ne soit bon pour l'un et mauvais pour l'autre. Cependant il y a à peu près un prix commun pour les choses principales ; et de l'aveu de tout le monde, par exemple, l'amour est un peu cher : aussi ne se laisse-t-il pas évaluer.

Pour le plus sûr, il en faut revenir, aux plaisirs simples, tels que la tranquillité de la vie, la société, la chasse, la lecture ... S'ils ne coûtaient moins que les autres, qu'à proportion de ce qu'ils sont moins vifs, ils ne mériteraient pas de leur être préférés, et les autres vaudraient autant leur prix que ceux-ci le leur : mais les plaisirs simples sont toujours des plaisirs, et ils ne coûtent rien. Encore un grand avantage, c'est que la fortune ne nous les peut guère enlever, Quoiqu'il ne soit pas raisonnable d'attacher notre bonheur à tout ce qui est le plus exposé aux caprices du hasard, il semble que le plus souvent nous choisissons avec soin les endroits les moins sûr pour l'y placer. Nous aimons mieux avoir tout notre bien sur un vaisseau qu'en fonds de terre. Enfin les plaisirs vifs n'ont que des instants, et des instants souvent funestes par un excès de vivacité qui ne laisse rien goûter après eux ; au lieu que les plaisirs simples sont ordinairement de la durée que l'on veut ; et ne gâtent rien de ce qui les suit.

Les gens accoutumés aux mouvements violents des passions, trouveront sans doute fort insipide tout le bonheur que peuvent produire les plaisirs simples. Ce qu'ils appellent insipidité, je l'appelle tranquillité ; et je conviens que la vie la plus comblée de ces sortes de plaisirs n'est guère qu'une vie tranquille. Mais quelle idée a-t-on de la condition humaine, quand on se plaint de n'être que tranquille? et l'état le plus délicieux que l'on puisse imaginer, que devient-il après que la première vivacité du sentiment est consumée? il devient un état tranquille ; c'est même le mieux qui puisse lui arriver.

Il n'y a personne qui dans le cours, de sa vie n'ait quelques événements heureux des temps ou des moments agréables. Notre imagination les détache de tout ce qui les a précédés ou suivis ; elle les rassemble, et se représente une vie qui en serait toute composée : voilà ce qu'elle appellerait du nom de bonheur, voilà à quoi elle aspire, peut-être sans oser trop se l'avouer. Toujours est-il certain que tous les intervalles languissants, qui dans les situations les plus heureuses sont et fort longs et en grand nombre, nous les regardons à peu près comme s'ils n'y devaient pas être. Ils y sont cependant, et en sont bien inséparables. Il n'y a point en chimie d'esprit si vif qui n'ait beaucoup de flegme ; l'état le plus délicieux en a beaucoup aussi, beaucoup de temps insipide, qu'il faut tâcher de prendre en gré.

Souvent le bonheur dont on se fait l'idée, est trop composé et trop compliqué. Combien de choses, par exemple, seraient, nécessaires pour celui d'un courtisan ? du crédit auprès des ministres, la faveur du Roi, des établissements considérables pour lui et pour ses enfants, de la fortune au jeu, des maîtresses fidèles et qui flattassent sa vanité ; enfin tout ce que peut lui représenter une imagination effrénée et insatiable. Cet homme-là ne pourrait être heureux qu'à trop grands frais ; certainement la nature n'en fera pas la dépense.

Le bonheur que nous nous proposons sera toujours d'autant plus facile à obtenir, qu'il y entrera moins de choses différentes, et qu'elles seront moins indépendantes de nous. La machine sera plus simple, et en même temps plus sous notre main.

Si l'on est à peu près bien, il faut se croire tout à fait bien. Souvent, on gâterait tout pour attraper ce bien complet. Rien n'est si délicat ni si fragile qu'un état heureux ; il faut craindre d'y toucher, même sous prétexte d'amélioration.

La plupart des changements qu'un homme fait à son état pour le rendre meilleur, augmentent la place qu'il tient dans le monde, son volume, pour ainsi dire : mais ce volume plus grand donne plus de prise aux coups de la fortune. Un soldat qui va à la tranchée, voudrait-il devenir un géant pour attraper plus de coups de mousquet ? celui qui veut être heureux se réduit et se resserre autant qu'il est possible. Il a ces deux caractères ; il change peu de place, et en tient peu.

Le plus grand secret pour le bonheur, c'est d'être bien avec soi. naturellement tous les accidents fâcheux qui viennent du dehors, nous rejettent vers nous-mêmes, et il est bon d'y avoir une retraite agréable ; mais elle ne peut l'être si elle n'a été préparée par les mains de la vertu. Toute l'indulgence de l'amour-propre n'empêche point qu'on ne se reproche du moins une partie de ce qu'on a à se reprocher : et combien est-on encore troublé par le soin humiliant de se cacher aux autres, par la crainte d'être connu, par le chagrin inévitable de l'être? on le fuit, et avec raison : il n'y a que le vertueux qui puisse se voir et se reconnaître. Je ne dis pas qu'il rentre en lui-même pour s'admirer et pour s'applaudir : et le pourrait-il, quelque vertueux qu'il fût ? mais comme on s'aime toujours assez, il suffit d'y pouvoir rentrer sans honte pour y rentrer avec plaisir.

Il peut fort bien arriver que la vertu ne conduise ni à la richesse ni à l'élévation, et qu'au contraire elle en exclue : ses ennemis ont de grands avantages sur elle par rapport à l'acquisition de ces sortes de biens. Il peut encore arriver que la gloire, sa récompense la plus naturelle, lui manque : peut-être s'en privera-t-elle elle-même ; du moins, en ne la recherchant pas, hasardera-t-elle d'en être privée. Mais une récompense infaillible pour elle, c'est la satisfaction intérieure. Chaque devoir rempli en est payé dans le moment : on peut sans orgueil appeler à soi-même des injustices de la fortune ; on s'en console par le témoignage légitime qu'on se rend de ne les avoir pas méritées ; on trouve dans sa propre raison et dans sa droiture un plus grand fonds de bonheur que les autres n'en attendent des caprices du hasard.

Il reste un souhait à faire sur une chose dont on n'est pas le maître, car nous n'avons parlé que de celles qui étaient en notre disposition ; c'est d'être placé par la fortune dans une condition médiocre. Sans cela, et le bonheur et la vertu seraient trop en péril. C'est là cette médiocrité si recommandée par les philosophes, si chantée par les poètes, et quelquefois si peu recherchée par eux tous.

Je conviens qu'il manque à ce bonheur une chose qui, selon les façons de penser communes, y serait cependant bien nécessaire ; il n'a nul éclat. L'heureux que nous supposons ne passerait guère pour l'être ; il n'aurait pas le plaisir d'être envié : il y a plus ; peut-être lui-même aurait-il de la peine à le croire heureux, faute de l'être cru par les autres ; car leur jalousie sert à nous faire assurer de notre état, tant nos idées sont chancelantes sur tout, et ont besoin d'être appuyées. Mais enfin, pour peu que cet heureux se compare à ceux que le vulgaire croit plus heureux que lui, il sent facilement les avantages de sa situation ; il se résoudra volontiers à jouir d'un bonheur modeste et ignoré, dont l'étalage n'insultera personne ; ses plaisirs, comme ceux des amans discrets, seront assaisonnés du mystère.

Après tout cela, ce sage, ce vertueux, cet heureux est toujours un homme ; il n'est point arrivé à un état inébranlable que la condition humaine ne comporte point ; il peut tout perdre, et même par sa faute. Il conservera d'autant mieux sa sagesse ou sa vertu, qu'il s'y fiera moins ; et son bonheur, qu'il s'en assurera moins.

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