L'homme est-il libre de mal agir ? La liberté et le mal
De la complexité du libre-arbitre
Pour ce qui est du libre arbitre, je confesse qu'en ne pensant qu'à nous-mêmes, nous ne pouvons ne le pas estimer
indépendant ; mais lorsque nous pensons à la puissance infinie de Dieu, nous ne pouvons ne pas croire que toutes choses dépendent de lui, et, par conséquent, que notre libre arbitre n'en est pas exempt […] Ainsi
celle de notre libre arbitre ne nous doit point faire douter de l'existence de Dieu. Car l'indépendance que
nous expérimentons et nous sentons, et qui suffit pour rendre
nos actions louables ou blâmables, n'est pas incompatible avec une dépendance qui est d'autre nature, selon
laquelle toutes choses sont sujettes à Dieu. Descartes.
Lettre à Élisabeth 1645.
Un homme peut-il vouloir le mal pour le mal ? A cette question, me semble-t-il, nous pouvons répondre par la négative.
Où il y a liberté, il n'y a pas de place pour le mal. Aucun individu n'engendrerait du mal pour le mal si sa conscience est souveraine.
si la conscience de l'homme gouvernait entièrement ses pulsions, il n'y aurait plus de transgression. La transgression est la victoire des forces primaires, sur la volonté, la morale et le libre arbitre.
Chaque mauvaise action envers un semblable, répond
avant tout à une exigence intime, à une force plus forte que la conscience du malveillant.
La victime n'est pas le but du bourreau mais le moyen. Elle est l'objet permettant au criminel d'assouvir une tension interne, d'étancher ou de défouler un besoin instinctif.
Le criminel vise prioritairement à répondre à sa propre exigence. Il peut se sentir contraint d'obéir à un ordre, contraint de chercher à satisfaire un désir égoïste. Il peut vouloir réparer son équilibre psyco-physiologique perçu comme rompu. Il peut chercher à apaiser une trop grande haine ressentie comme une souffrance, etc.
Du pur égoïsme
En somme, dans la plupart des cas, le transgressant ne vise pas prioritairement à faire du mal à la victime, il aspire avant tout à se faire du bien à lui. Il veut jubiler, se repaître, jouir à travers le mal qu'il enfante. Il désire rassasier un appel intérieur, apaiser son malaise assouvir son désir de vengeance.
C'est pourquoi, selon notre philosophie, la cruauté et l'injustice découlent avant tout du narcissisme, d'un manque d'empathie, du désir sans limite de se faire du bien mêlé à une incapacité à se mettre à la place d'autrui.
Et ces défaillances dérivent, selon nous, d'un type d'éducation. Vengeance et vendetta
L'art de mal apaiser sa colère
Apaiser sa fureur prédomine sur la souffrance à infliger. Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage. Périclès
Pour Socrate, l'homme, s'il en avait les moyens, éviterait le « mal ».
Nous souscrivons totalement à cette approche. De la vengeance
Prenons le cas de la vengeance pour illustrer ce point de vue philosophique. Un homme est fou de rage envers une personne qu'il estime son ennemi ou son rival.
Il ressent une souffrance intérieure inouïe.
Seul, un acte de vengeance, pense-t-il, va pouvoir restaurer son équilibre.
En réalité, la souffrance infligé au rival, n'est pas la motivation première de ce « mangeur froid ».
Celui-ci vise avant tout la fin de son propre tourment.
Si notre homme disposait par exemple, d'une instrument capable d'apaiser, d'oublier la violence de sa frustration, il l'utiliserait. S'il existait une machine pour « laver son honneur », il choisirait naturellement d'employer la machine. S'il existait une pilule cathartique permettant d'éviter les conséquences d'une vengeance purgative (mauvaise conscience, remords, répercussions juridiques, punitions, prison, vengeance en retour, etc.), qui ne la prendrait pas ?
La plupart des adeptes de la vendetta l'esquiverait s'ils en avaient les moyens.
De la malhonnêteté
Un malfaiteur pouvant s'offrir des sensations et des gains (montée d'adrénaline, désir de gloire et de pouvoir, enrichissement, goût du risque etc.), identiques à ceux qu'il ressent lors de ses brigandages, il éviterait certainement de commettre ses exactions, d'abuser ses congénères. Un gangster qui pourrait jouir de tout ce que lui procure ses forfaits sans les réaliser, ne passerait pas à l'acte. De la perversion
C'est également valable pour les cas les plus pervers. L'individu prenant son plaisir en torturant autrui, cherche avant tout à satisfaire des appels viscéraux sadiques.
Si une machine fournissait exactement le même plaisir, les mêmes satisfactions à ses pulsions perverses, le sadique les utiliserait.
A mon sens, si un tel appareillage existait, la plupart des tortionnaires choisirait le substitut, l'ersatz, pour préserver l'être humain.
La sensation vers le bien.
Enseigner les gratifications positives.
Les responsabilités de la société. La liberté de l'individu doit être ainsi bornée : il ne doit pas se rendre nuisible aux autres. J.S.Mill
Chez l'homme, l'intention de commettre le mal pour le mal, semble donc improbable.
Toute action est motivée par la recherche d'un bien.
L'individu dédiant son existence au bien d'autrui, le fait pour en ressentir les sensations positives (l'Abbé Pierre, soeur Emmanuelle, mère Teresa, Martin Luther King, Père Pédro, jouissent à leur manière, du bien qu'ils font)
L'individu dédiant son existence au mal, le fait également pour ressentir une sensation qu'il considère positive... Il commet simplement une erreur d'appréciation (erreur d'appréciation car la somme des déplaisirs encourus est supérieure au plaisir obtenu).
Nous pouvons mesurer ici la grande intelligence de la création. La façon dont l'évolution se déroule, fait qu'il est impossible de jouir tranquillement à travers le mal. L'éducation morale, l'organisation sociale, les valeurs de la société, pourrissent tout plaisir mal acquis.
Le regret, le remords, la prison, la vengeance, la honte, le mépris général, sont le salaire des plaisirs injustes.
Le mal volontaire et involontaire.
Si l'individu engendre du mal en l'ignorant, il aura la conviction qu'il se fait du bien à lui-même et à l'autre. C'est souvent le cas du pervers narcissique, persuadé d'offrir du plaisir quand il offre de la dépendance (exit le dealer). Quand un individu génère du mal en le sachant, il faut qu'ils se voile la face Pour minimiser son acte et il utilisera bien souvent la mauvaise foi pour cela (par exemple en s'inventant
une fausse morale afin de justifier sa transgression : « si ce n'est pas moi qui abuse dans telle ou telle situation, quelqu'un d'autre le fera »).
Le mal résulte d'une mauvaise évaluation du transgressant nous dit Socrate dans le Ménon de Platon. Ne doutant de rien, je me permettrai de compléter cette définition :
L'individu cherche à éprouver du plaisir par le « mal »,
quand il est incapable d'en éprouver suffisamment par le « bien ».
Liberté et mal.
De la responsabilité du transgressant. La perversité, c'est l'art de transformer le bien en mal.
Claude Chabrol.
En théorie donc, la liberté
de faire le bien ou de faire le mal serait un leurre.
L'homme, s'il en avait les moyens, s'épargnerait la souffrance qu'il inflige. Il est lui aussi victime de ses transgressions.
S'il trouve du plaisir à travers ses pulsions transgressantes, cela reste des pulsions. Il n'en est pas libre.
La vraie liberté ne peut pas être confrontée au mal. Où il y a liberté, il y a priorité et autorité de la conscience morale sur la pulsion. Donc l'homme n'est pas libre de nier la loi ou d'agir contre elle.
La liberté rend le choix du mal impossible.
Pour être pleinement responsable, il faut être absolument libre de son choix. Autrement dit, dans l'absolu, tout transgressant est irresponsable.
Des crimes passés.
L'importance du devoir de mémoire.
Le passé ne peut pas se refaire.
La seule vocation de la critique des crimes passés est de prémunir le futur de leur résurgence. Cette tâche est fondamentale pour l'humanité. Elle est le moteur du progrès moral.
La critique des méfaits passés, s'effectue à l'aide du devoir de mémoire, la création des lois, l'éducation... Le devoir de mémoire est essentiel pour désunir progressivement le mal et l'homme. Pour lui ouvrir l'accès au bonheur absolu.
Voici un paradoxe.
La liberté nous dit-on, c'est de pouvoir choisir entre le bien et le mal. Mais quand un individu choisit le « mal », il est susceptible de se retrouver privé de liberté. Donc la seule façon d'être libre serait de choisir invariablement le bien. La liberté et le choix ne s'accordent donc pas avec : « le mal ». L'homme n'a donc qu'un choix réel : le bien.
Les hommes sont différents. Inégalités des éducations morales Comprendre les souffrances d'autrui pour juger ses actes Nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité à résister à la tentation du « mal ». Le parcours historique de chaque être humain est unique. Son taux de volonté, d'empathie et de morale, dépend entièrement de son histoire.
Ce taux résulte de son éducation. De l'ouverture de conscience du milieu familial et éducatif au sein duquel il s'est développé. Il dépend de ses dérivatifs, de son développement moral.
Il peut être aussi le résultat des exemples qu'il a suivi. Il dépend des frustrations, des violences subies, de l'amour octroyé, des traumatismes vécus, etc. Nous sommes donc encore une fois face aux ruses de la raison (Hegel).
La plupart du temps, le mal est le fruit de forces inconscientes. La conscience et la volonté humaine sont encore difficilement apte à les dominer. Si le mal ne peut pas encore disparaître, c'est qu'il est une nécessite. Il est une nécessité pour faire évoluer le bien au sein de notre espèce.
Mais parallèlement, l'homme doit considérer que cette nécessité est superflue
pour pouvoir la combattre. L'homme n'est pas libre de faire le mal. Mais il doit agir comme s'il disposait d'un libre arbitre. Il doit préserver cette illusion pour faire évoluer l'humanité.
2001
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