Philosophie
selon Jacques Matter
extrait du dictionnaire de la conversation 1878 (suite)
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L'origine de la philosophie est celle de l'homme. L'homme dont l'intelligence n'aurait pas fonctionné de manière à se rendre raison d'elle-même, avoir conscience de ses sensations et de ses sentiments, de ses pensées et de ses délibérations, des résolutions, des actes qui s'ensuivent, enfin des jugements internes qui succèdent à ses actes, cet homme n'aurait jamais été l'homme intellectuel et moral. Au lieu d'être l'homme véritable, l'homme spirituel, il eut été l'homme dégradé, l'homme animal. De quelle manière l'homme a-t-il débuté ? L'histoire se tait sur cette question.
Les conjectures varient. Elles peuvent varier. D'un côté, du côté de ceux qui veulent le début le plus flatteur pour notre espèce, on est en droit de faire valoir l'auguste condition dans laquelle l'homme primitif, roi de la création, dut sortir des mains du créateur. D'un autre côté, on peut en appeler à cette grande loi du progrès, qui est la loi du monde, et on peut fonder sur cette loi le système du début le plus modeste.
Mais dans le doute ou jettent des considérations contraires et qui se balancent, on ne peut refuser d'entendre la tradition, qui essaie de suppléer au silence de l'histoire. Cette tradition est universelle : elle atteste un début digne de l'homme, digne de son auteur, et il n'y a rien au monde qui puisse l'anéantir. L'on en peut inférer avec raison qu'une philosophie quelconque est aussi ancienne que l'intelligence humaine. Il est évident néanmoins que ce débuts dans la science ne fut pas la science, ne fut pas surtout cette science des écoles, cette chose timide, défiante, pleine de réserve et de doute, qui est le partage d'une civilisation avancée.
Ce fut au contraire une science hardie, téméraire, pleine de foi et de solutions, car ce fut une chose d'intuition. En effet, dès son début l'intelligence de l'homme, loin de s'arrêter elle-même, de s'interroger sur ses forces et de s'inquiéter des limites de son domaine, ne consulte que son impatience de faire des découvertes, franchit ces espaces, et s'élève par dessus tout ce qui l'entoure à ce qu'il y a de plus haut. Elle remonte à l'origine du monde et à celle de son auteur. Elle n'a pas encore le moi, et en a déjà la cause première.
Elle n'a pas le non-moi mais elle a l'univers. A la place d'une psychologie et d'une physique, elle a une théogonie et une cosmogonie. Elle a une pneumatologie avant d'avoir une logique, et avant de se rendre compte de la légitimité d'une seule de ses inductions, elle établit ses rapports avec les dieux et les esprits. Dans ces premières conceptions, la philosophie de l'humanité est à la fois sa religion et sa poésie, et au premier aspect on dirait que cette promiscuité primitive, que nous considérons comme un état de faiblesse plutôt que de puissance, est la condition normale de l'homme, puisque là est sa paix, là sa grandeur.
En effet, la est son âge d'or, et point de doute que si l'homme était consulté sur sa destinée, il ne voulut jamais quitté cet éden. Bientôt, dans d'autres pays, en Grèce, le génie de l'homme, suivant des principes contraire, s'est appliqué à rompre la primitive unité, à séparer d'abord la religion et la poésie, puis a détacher de toutes deux la philosophie, enfin à diviser la philosophie en plusieurs branches, et à subdiviser chacune d'elles en plusieurs ramifications encore. Alors naquit la véritable philosophie. Au moment où l'esprit humain cessait, sous la direction de Socrate, de se croire sur parole et s'examinant lui-même, mesurait ses moyens et se contenait dans ses limites, son vol audacieux était arrêté : elle passait des voies de la création dans celle de l'analyse. On le voit dans chacun de ses progrès.
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Le dictionnaire de la conversation 1878 |