Philosophie
selon Jacques Matter
extrait du dictionnaire de la conversation 1878
Philosophie du grec φιλεiν aimer et σοφίαsagesse. La philosophie n'est pas facile à définir. On l'a tenté maintes fois, les uns pour les initiés, les autres pour le vulgaire : ces définitions sont les une meilleure que les autres, mais nulle n'est bonne d'une manière absolue. Ce qu'elles peuvent faire aisément, c'est de laisser entrevoir de quoi la science s'occupe, et c'est ce que les philosophes ont fait avec une abondance proportionnée à la variété des besoins. les uns ont dit que la philosophie était l'étude de l'homme ou l'étude du moi, et celle des rapports qu'il a avec le grand ensemble des choses dont il fait partie, c'est à dire Dieu et le monde, y compris la connaissance des droits et des devoirs qui résulte de ces rapports.
D'autres ont dit que la philosophie, où la science de la raison humaine, était la science des raisons de tout ; qu'elle avait la mission de remonter aux principes et aux lois, et en remontant jusqu’à là elle devait trouver nécessairement les raisons des choses. D'autres encore, et Cicéron est de ce nombre, se sont bornés à dire que la philosophie était la science des choses divines et humaines. Cette première série de définition va au vulgaire, et nous ne nous arrêterons pas à en faire sentir les vices ou les lacunes : ce serait chose trop aisé de faire remarquer, par exemple, que l'orateur romain a confondu la philosophie avec la science en général. Mais au lieu de nous arrêter à relever ces erreurs, nous aimons mieux donner des définitions plus scientifiques.
On a appelé la philosophie la science des vérités fondamentales de la connaissance humaine, la science de la nature des choses, la science des idées, la science de l'absolu (voyez Schelling et Hegel) ; la science de la raison par les idées ; (voyez Kant), la science de la science, la science de la légitimité primordial des opérations de l'intelligence (voyez Fichte) la philosophie est quelque chose de tout cela, mais elle est loin d'être tout cela. Elle est en effet beaucoup moins la science de l'absolu, ou celle de la nature des choses, qu'elle n'est celle des raisons de nos opinions et de nos conjectures sur nous-mêmes et sur tout ce qui est en rapport avec nous.
Nous disons la science des raisons de nos opinions et autres conjectures, nous ne disons pas de nos connaissances, parce qu'en effet elle ne nous donne pas la science. La science c'est la certitude. Si la philosophie nous donnait la certitude, elle ne serait pas de la philosophie, elle serait dogme, foi, religion. Elle est au contraire observation et induction, elle est analyse des examen, elle est toujours raisonnement est souvent doute.
La philosophie commettrait un suicide si jamais elle vidait le débat qui ne doit pas être vidé. L'homme, dieu et l'univers sont livrés à nos méditations, ils ne sont pas donnés à nos solutions. Nos solutions tueraient notre destinée terrestre ; notre destinée est dans nos méditations. prétendre qu'on enseigne la philosophie de l'absolu c'est abjurer non seulement la philosophie, c'est déclarer qu'on veut désormais adjurer le génie philosophique.
Non seulement nous ne pouvons pas atteindre la raison des choses, nous ne pouvons pas même atteindre à la nature des choses. Tout ce que peut la philosophie, c'est donc nous rendre raison des opinions, des conjectures et des probabilités que nous parvenons à nous former au moyen de nos sensations, de nos idées et de nos inductions sur nous, sur les choses qui nous entourent et sur les principes qui les dirigent.
Dans ces limites seulement la philosophie et une science ; et quoique renfermée dans cette sphère, elle est la plus haute de toutes. Science générale des raisons de nos opinions, de nos conjectures et de nos convictions, la philosophie peut suffire à notre ambition est à la science, car c'est une science dont les lumières éclairent toutes les autres. C'est aussi celle de toutes que ne domine nulle autre, et qui les domine toute. Reine de toutes, ayant des rapports avec toutes, elle profite du progrès de chacune d'elles, comme elles profitent chacune de la lumière qui les gouverne. Elle profite de toutes par la raison que, par ses branches, elle touche à toutes. Ses divisions sont nombreuses. Elle les varie d'âge en âge. Tantôt elle en crée de nouvelles, tantôt elle rejette de son sein celles qui sont devenues assez grandes pour pouvoir sans peine se détacher d'elle.
Sa première branche, et son point de départ, c'est l'étude du moi, des facultés, des forces, des puissances de l'âme, en d'autres mots, c'est la psychologie élémentaire, celle qui se borne à l'état actuel de l'âme, et la psychologie transcendante, celle qui cherche à déterminer la nature de l'âme et la destinée qui l'attend à la fin de sa mystérieuse union avec le corps. La psychologie proclame dans l'âme trois puissances, qui ne constituent pas trois êtres différents ou trois entités, pour parler la langue du moyen age, mais une simple triades. Néanmoins, elles se distinguent suffisamment dans la nature pour que la science ne les reconnaisse dans leur caractère spécial. Ces trois puissances, la sensibilité, l'intelligence et la volonté, deviennent chacune l'objet d'une étude particulière. Ces trois études sont : l'esthétique, la logique et la morale ; elles se subdivisent.
L'esthétique se distingue en une théorie générale du beau et en plusieurs théories spéciales sur chacun des beaux-arts. La logique présente aussi deux branches, l'une théorique qui expose les lois générales de la pensée, et l'autre pratique, qui analyse les préceptes qu'on doit suivre pour bien appliquer ces lois. La morale se divise d'une manière analogue. La morale générale examine la grande question du bien et du mal, celle de la loi naturelle et celle du devoir. La morale spéciale examine les devoirs un à un.
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Le dictionnaire de la conversation 1878
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