Emmanuel Kant
Idée d'une histoire universelle
au point de vue cosmopolitique
L'insociable sociabilité des hommesLe moyen dont la nature se sert pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions est leur antagonisme au sein de la société, pour autant que celui-ci est cependant en fin de compte la cause d'une ordonnance régulière de cette société. J'entends ici par antagonisme l'insociable sociabilité des hommes, c'est-à -dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d'une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. l'homme a cependant un penchant à s'associer, car dans un tel état, il se sent plus qu'homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s'isoler) car il trouve
en même temps en lui le caractère d'insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens ; et, de ce fait, il s'attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu'il se sait par lui-même enclin à résister aux autres. C'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l'impulsion de l'ambition, de l'instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer. l'homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la grossièreté le mènent à la culture dont le fondement véritable est la valeur sociale de l'homme ; c'est alors que se développent peu à peu tous les talents, que se forme le goût, et que même, cette évolution vers la clarté; se poursuivant, commence à se fonder une forme de pensée qui peut avec le temps transformer la grossière disposition naturelle au discernement moral en principes pratiques déterminés. Par cette voie, un accord pathologiquement extorqué en vue de l'établissement d'une société, peut se convertir en un tout moral.
Sans ces qualités d'insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient à jamais enfouis en germes, au milieu d'une existence de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction, et un amour mutuels parfaits ; les hommes, doux comme les agneaux qu'ils font paître, ne donneraient à l'existence guère plus de valeur que n'en a leur troupeau domestique; ils ne combleraient pas le néant de la création
en considération de la fin qu'elle se donne comme nature raisonnable. Remercions donc la nature pour cette humeur si peu conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour l'appétit insatiable de possession ou même de domination.
Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil. l'homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon pour son espèce: elle veut la discorde
trad. S. Piobetta
in Opuscules sur l'histoire, Paris, Garnier-Flammarion, 1990, pp.
74-75.
Mon ajoux subjectif
Emmanuel Kant a parfaitement raison, mais il s'agit d'une raison ponctuelle. Une raison valable pendant le temps de la construction humaine et uniquement. La discorde est un outil de construction. Quand l'humanité aura atteint son seuil indépassable de perfection, toute discorde aura disparu. (comme le silex taillé ne fait plus partie de notre outillage, après avoir été nécessaire à notre construction).
Selon la mecaniqueuniverselle ( autrement dit, selon moi), l'humanité
est vouée à atteindre sa perfection. Cette perfection, avant de l'atteindre elle doit la construire. Pour construire notre « humanité parfaite » nous avons besoin d'antagonisme et de dualité. Nous avons besoin De compétition, d'agressivité, d'égocentrisme, bref de certains traits négatifs de notre caractère.
Pour construire, l'agneau que sera l'homme pour l'homme, l'homme doit préalablement être un loup pour l'homme.
Vers la bienveillance
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