Gottfried Wilhelm Leibniz
Une jolie vue à propos des monothéismes
Des Hébreux,
De tous les anciens peuples, on ne connaît que les Hébreux qui aient eu des dogmes publics de leur religion. Abraham et Moïse ont établi la croyance d'un seul Dieu, source de tout bien, auteur de toutes choses.
Les Hébreux en parlent d'une manière très digne de la souveraine substance, et on est surpris de voir des habitants d'un petit canton de la terre plus éclairés que le reste du genre humain. Les sages d'autres nations en ont peut-être dit autant quelquefois, mais ils n'ont pas eu le bonheur de se faire suivre assez et de faire passer le dogme en loi.
Cependant Moïse n'avait point fait entrer dans ses lois la doctrine de l'immortalité des âmes: elle était conforme à ses sentiments, elle s'enseignait de main en main, mais elle n'était point autorisée d'une manière populaire; jusqu'à ce que Jésus-Christ leva le voile, et sans avoir la force en main, enseigna avec toute la force d'un législateur que les âmes immortelles passent dans une autre vie, où elles doivent recevoir le salaire de leurs actions. Moïse avait déjà donné les belles idées de la grandeur et de la bonté de Dieu, dont
beaucoup de nations civilisées conviennent aujourd'hui: mais
Jésus Christ en établissait toutes les conséquences, et il faisait voir que la bonté et la justice divines éclatent parfaitement dans ce que Dieu prépare aux âmes. Je n'entre point ici dans les autres points de la doctrine chrétienne, et je fais seulement voir comment Jésus-Christ acheva de faire passer la religion naturelle en loi, et de lui donner l'autorité d'un dogme public.
Il fit lui seul ce que tant de philosophes avaient en vain tâché de faire; et les chrétiens ayant enfin eu le dessus dans l'empire romain, maître de la meilleure partie de la terre connue, la religion des sages devint celle des peuples.
Mahomet, depuis, ne s'écarta point de ces grands dogmes de la théologie naturelle: ses sectateurs les répandirent même parmi les nations les plus reculées de l'Asie et de l'Afrique où le christianisme n'avait point été porté; et ils abolirent en bien des pays les superstitions païennes, contraires à la véritable doctrine de l'unité de Dieu, et de l'immortalité des âmes.
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