Zoroastre
Prophète et législateur
Prophète et législateur des anciens perses, est un des personnages les plus énigmatiques de l'histoire. Son existence ne peut être contestée ; mais son origine, la date de naissance et les diverses circonstances de sa vie, sont autant de problèmes que l'antiquité nous laisse à résoudre. Au petit nombre de vestiges que cet homme merveilleux a laissés de son passage dans ce monde, l'imagination des Orientaux a mêlé tant de fables, tant de miracles, que la vérité échappe à la critique la plus saine et la plus éclairée. Les livres sacrés qui portent son nom l'appellent Zarathustra, c'est-à -dire Etoile d'Or, et les Persans de nos jours Zerdoutsch. Les mages le font vivre mille trois cents ans après le déluge ; non contents de cette antiquité, ils veulent qu'il soit l'aîné de Moïse, et ils le confondent avec Abraham. D'autres ont écrit qu'il avait aidé à la construire la tour de Babel. Les auteurs grecs se sont jetés dans d'autres aberrations. Eudoxe, cité par Pline, fait naître Zoroastre six mille ans avant Platon, et Plutarque cinq mille ans avant la guerre de Troie. Suidas, plus modeste, se contente de cinq cent ans. Pline, après avoir cité Eudoxe, conclut par fixer l'époque de Zoroastre peu de temps avant celle de Xerxès. Justin veut, au contraire, qu'il ait vécu au temps de Ninus, treize siecles avant Sardanapale. Apulée le fait contemporain de Cambyse , et veut qu'il ait donné des leçons à Pythagore. Porphyre et Clément d'Alexandrie lui assignent pour époque le règne de Cyrus. Ctésias, enfin, la place au règne de Darius fils d'Hystaspe. On a presque autant varié sur son pays que sur la date de sa naissance. On l'a fait successivement Chaldéen, Assyrien, Juif, Bactrien et roi, Perse, Mède, Perso-Mède, Pamphylien , Proconnésien ; et chacune de ces versions a pour elle des autorités respectables , comme Suidas , Pline , Platon , Justin et Clément d'Alexandrie. Les guèbres indiens , dont Chardin et Tavernier ont recueilli les témoignages , lui supposent, au contraire, une origine chinoise ; origine qui a encore moins de fondement que les autres. Sa vie est aussi un grand objet de controverse. Pline le fait rire en naissant , et vivre de fromage pendant vingt ans dans un désert. Dion Chrysostome nous le montre au milieu du feu. Les chrétiens orientaux , cités par Aboulfarage , se servent de Zoroastre pour étayer leur mystère de la Nativité. Ils lui font prédire la venue du Messie et l'apparition de l'étoile qui doit guider les mages vers vers l'étable de Bethléem. Ben-Schonah, adoptant la version relative à Esdras , le fait chasser de Jérusalem par son maître , et le couvre de lèpre en punition de ses impiétés à l'égard de la loi des juifs. Khondémir prétend qu'ayant appris par l'étude de l'astrologie qu'il devrait naître un grand prophète , Zoroastre voulut en jouer le rôle , que le démon fut son unique maître, et qu'il écrivit le Zendavesta sous sa dictée. Sa mort est encore un autre problème. Suidas le tue d'un coup de foudre. Justin le fait mourir dans une bataille qu'il perd contre Ninus, avec lequel il a auparavant disputé sur la magie. Pline le tue aussi dans une guerre ; mais il le ressucite trois jours après , et il lui fait raconter les choses étranges qu'il a vues dans l'autre monde. Suidas attribue à son âme la faculté de venir animer son corps toutes les fois qu'elle le juge à propos. En définitive , la version la plus accréditée est que Zoroastre naquit en Perse, qu'il étudia sous le prophète Daniel, et qu'après avoir vécu longtemps dans la retaite, il vint prophétiser et donner ses lois pendant le règne de Darius, fils d'hystaspe, selon le sentiment de Ctésias. Cette retraite étais une caverne de la Médie, où il s'était réfugié, à la manière des philosophes anciens, pour se livrer à l'étude et à la manière des philosophes anciens, pour se livrer à l'étude et à la contemplation; et , de quelque manière que lui soit venue la pensée de réformer la religion des mages, dès l'instant qu'il se fut imposé cette mission, il sentit la nécessité de frapper les esprit par des choses extraordinaires. Il découvrit certaines plantes dont le suc avait la propriété d'endurcir la peau contre l'action du feu, et se mit à manier des charbons ardents, se fit répendre sur le corps de l'airain fondu, sans que son épiderme en fût altéré. Ce miracle de charlatan lui attribua la vénération des Perses. Ses austérités excessives l'accrurent; et après vingt ans de solitude il voulut commencer la réforme du peuple par celle du roi. Darius régnait depuis trente et un ans quand Zoroastre se présenta à lui avec le livre du zendavesta qu'il avait composé dans sa caverne, et dans lequel il avait résumé sa doctrine et ses lois « Je suis un prophète envoyé vers toi par Dieu même, dit-il à Darius, et ce livre, racles en témoignage de sa mission. Ce fut alors sans doute qu'il sortit des flammes, son livre à la main, sans que ce livre et sa personne en fussent touchés. Il planta un jeune cyprès devant la porte du palais, et le fit croitre si vite, qu'en peu de jours cet arbre avait acquis une hauteur de dix brasses. Darius n'en demanda pas davantage, et résolut d'embrasser la religion du prophète. Il fit asseoir Zoroastre sur un trône d'or, adopta les préceptes du zendavesta, les fit adopter par son peuple, et sollicita à son tour quatre dons du prophète. Ces dons étaient : 1° d'aller faire un tour au ciel pour connaître les joies; 2° de lire dans l'avenir jusqu'à la fin des temps; 3) d'être invulnérable à la guerre; 4° d'être immortel. « C'est-à -dire que tu veux être autant que Dieu, répondit Zoroastre; cela n'est pas possible : mais nomme-moi quatre personnes, et chacune d'elles aura un de ces dons. » Le roi prit le premier; Zoroastre le grisa, l'endormit pour trois jours, pendant lesquels il vit le paradis. Il donna une rose au mage Giamasb, qui acquit tout de suite la connaissance de l'avenir. Deux fils du roi reçurent une coupe et un pepin de grenade; l'un fut immortel, l'autre invulnérable; et la religion de Zoroastre fut consolidée. Ces contes bleus ridicules inventions des mages ou des guèbres modernes, appelés gaures par les musulmans, ne diminuent en rien le mérite de leur législateur. Il leur enseigna un être suprême, éternel, indépendant; une résurrection générale à la fin du monde, et la séparation des bons et des méchants; un paradis pour les uns, un enfer pour les autres. Les deux génies du bien et du mal, connus sous les noms d'Oromase et d'Arimane, étaient depuis longtemps établis dans la croyance des Perses, et la secte des sabéens persans vivait dans une frayeur continuelle du mauvais génie dont elle se croyait descendue. Zoroastre attaqua cette superstition, et, tout en admettant les deux principes, il enseigna que ce combat perpétuel du bien et du mal était dans les décrets de Dieu. Il ordonna aux Perses de s'aimer entre eux, de pratiquer la bienfaisance, de fuir les moindres péchés, de ne jamais désespérer de la miséricorde divine. Les sabéens rendaient au soleil, sous le nom de Mithra un culte superstitieux; ils adoraient même tous les astres comme Dieu lui-même, mais comme l'ouvrage de ce Dieu. Les mages allumaient le feu sacré sur les montagnes, en plein air, Zoroastre leurs enjoignit de bâtir des pyrées ou des temples, pour que ce symbole de la Divinité ne fût pas exposé à s'éteindre. Il divisa les mages, dont il s'attribua les bonneurs pendant sa vie. Il perpétua le sacerdoce dans leurs familles, et leur défendit la pluralité des femmes, à moins que la première ne fût stérile. Le zendavesta, qui renferme sa dorctrine et l'histoire de sa vie, fut écrit en vieux caratères, que les Parsis appellent zund ou zend, sur douze cents peaux, qui formaient douze gros volumes, et contenaient vingt-et-un traités, appelés nosks, et dont chacun a un titre particulier. C'est le seizième, intitulé Zerdoutschnama, qui renferme la vie de Zoroastre. Le vingtième est nommé le livre des médecins. C'est sans doute le chapitre dont veut parler Eusèbe, en lui attribuant des ouvrages sur la médecine. Suidas lui prête aussi quatre livres sur la nature, un sur les pierres précieuses, et cinq sur la science des étoiles. Pline parle encore d'un traité d'agriculture et d'un livre sur les visions, composés par Zoroastre. Celui-ci s'établit dans la ville de Balk, et communiqua aux mages les sciences qu'il avait apprises des philosophes et des prophètes. Heureux s'il eut borné là son ambition; mais il fut jaloux de convertir tous les peuples à sa doctrine, et poussa Darius à faire la guerre au roi des Scythes orientaux, que Mirkhond appelle Argiasp. Ce roi, battu dans la première rencontre, rassembla une armée nouvelle, attaqua les Perses da,s le Khoraçan, saccagea la ville de Balk, surprit Zoroastre dans son temple, et le fit massacrer avec ses mages. Les Orientaux, que parce qu'il le voulut bien. Il avait d'abord demandé l'immortalité à Dieu pour ne jamais cesser d'instruire les hommes; mais Dieu lui avait fait voir dans l'avenir que la malice des hommes irait toujours croissa,t, et il aima mieux mourir que d'être témoin de cette perversité. Il se borna donc, suivant Suidas et Clément d'Alexandrie, à recommander aux mages de rassembler ses os, parce qu'ils devaient servir de palladium à la monarchie des Perses, comme les os de Thésée à la ville d'Athènes. Mais ces restes de Zoroastre furent négligés plus tard, et la monarchie périt sous les coups d'Alexandre. Sa religion n'a point encore péri. Elle se conserve parmi quelques tribus de Parsis ou Gaures, dispersées dans l'Inde et dans quelques autres contrées de l'Asie, ainsi que les livres sacrés de son fondateur. L'Europe en a recueilli quelques débris. Le Zenda-vesta fut abrégé, écrit en persan vulgaire, est le Sad-Der, dont le docteur Hyde a donné une traduction latine. Un dernier ouvrage de Zoroastre, son Traité des Oracles, est aussi arrivé en partie jusqu'à nous. Le fameux Pic de la Mirandole se vantait d'en posséder un manuscrit avec des commentaires chaldéens et un livre de théologie chaldaique. Ficin ne put en lire et extraire que des fragments, qui furent publiés en 1563 par Louis du Tillet, commentés d'abord par pléton, et , en 1607, par Psellus. Patricius y ajouta plus tard ce qu'il en avait recueilli dans Proclus, Simplicius, Arnobe et autres; et ce recueil fut traduit en anglais par Stanley, en 1661. Dirons-nous maintenant comment les chrétiens orientaux ont rattaché l'histoire de Zoroastre à Jésus-Christ? Non, c'est assez de fables et de rêves; gardons-nous de mêler aux fables les choses saintes ; laissons aux fausses religions comme aux fausses dynasties leur cortège de flatteurs et de charlatans, qui leur prêtent tant d'absurdités. Zoroastre n'en fut pas moins un grand homme et un bienfaiteur du pauvre genre humain.
Viennet, de l'Academie Française
Dictionnaire de la conversation
la cabale
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René Guénon,
né le 15 novembre 1886 à blois en France et mort le 7 janvier 1951 au Caire en Egypte, est un auteur français, ayant publié dix-sept ouvrages de son vivant (plus dix ouvrages regroupant divers articles ayant été publiés à titre posthume, soit au total vingt-sept titres) tous régulièrement réédités, qui ont trait, principalement, à la métaphysique, à l'ésotérisme et à la critique du monde moderne. |
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