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Paul Diel

Le symbolisme dans la mythologie grecque

Paul Diel, couverture du livre, le symbolisme dans la pythologie grecqueThésée

Dans le mythe de Thésée se retrouve - amplifié et exprimé par d'autres images - le sens secret de l'entreprise de jason. Égée, roi d'Athènes, en voyage et loin de son pays, jouit des faveurs d’Actia, mère de Thésée. Cependant, sur le plan mythique, Thésée est fils de poséidon, ce qui fait prévoir le sort du héros, sa chute finale.
Pourtant, Thésée ne serait pas héros, s'il succombait sans lutte, si l'esprit n'était pas fort en lui, si l'esprit sous sa forme positive n'était pas également son père mythique. Suivant le procédé symbolique rencontré à maintes reprises, Égée, le père corporel, représente en même temps le roi mythique : l'esprit. Il lègue à son fils les insignes de sublimité et de spiritualité. Obligé de rentrer à Athènes, égée cache sous un rocher une épée (l'arme du héros, combattant de l'esprit) et des sandales (qui doivent, pour la marche à travers la vie, « armer » protéger le pied, symbole de l'âme).
Thésée, ayant atteint l'adolescence, se montre capable de suivre l'appel de l'esprit. L'enthousiasme de la jeunesse lui assure une force suffisante pour soulever le rocher, symbole du poids écrasant de la terre (désir terrestre). Il s'arme de l'épée, chausse les sandales et se met en chemin pour rejoindre Égée, son père corporel mais en même temps son père mythique. Le héros part à la recherche de l'esprit.
Thésée, en route vers Athènes, vers l'esprit, accompli des exploits remarquables. Il est vainqueur des brigands Procuste et Sinis (ces aventures ont déjà trouvé leur traduction). Thésée n'est pas un « boiteux » comme Oedipe et Jason. Son esprit est bien armé, son âme est bien protégée. Avant de rencontrer les dangers décisifs de la vie, il sait surmonter, grâce à l'innocence de sa jeunesse, tous les périls qui menacent de lui barrer la route. Les penchants monstrueux dus à sa descendance du dieu des abîmes sous-marins ne se sont pas encore réveillés. Il fait la rencontre d'autres brigands dont il libère les contrées qu'il traverse. Il tue Sciron, symbole de la banalisation tout comme Procuste, mais caractérisé par d'autres images. Ce géant monstrueux oblige les voyageurs (de la vie) qui tombent entre ses mains à lui laver les pieds, c'est-à-dire qu'il les contraint à la servitude humiliante dans laquelle la banalisation tient les vaincus. L'homme esclave de la banalisation, se trouve réduit à servir le corps ; mais l'exigence de sciron symbolise cette servitude sous son aspect le plus humiliant, « laver les pieds » est un symbole de purification. Mais purifier l'âme morte du monstre banal (banalisation - mort de l'âme) au lieu de se purifier soi-même, laver les pieds de Sciron, n'est qu'un travail insensé, ironiquement infligé, un prétexte pour faire périr sa victime. Sciron (la banalisation) assis au sommet d'un rocher, précipite le malheureux absorbé par sa besogne humiliante dans l'abîme, Dans la mer profonde, ou une tortue gigantesque l'attend pour le dévorer. Le rocher et les abîmes marins sont des symboles suffisamment expliqués. Quant à la tortue, son trait le plus caractéristique est la lenteur de ses mouvements. Imaginée comme monstrueuse et dévorante, elle figure ici le trait qui est inséparable de l'agitation banalement ambitieuse : la parésie de toutes aspirations. Thésée fait subir à Sciron le sort que le brigand monstrueux prépare à ses victimes. L'aventure la plus décisive du héros en route vers athènes est sa rencontre avec un autre brigand : Péripéthès. L'arme de ce géant est une massue de cuir ; la massue fait de la peau d'animaux indique l'animalité. La massue de Péripéthès est donc un nouveau symbole de banalisation. Or, cette arme symbolique, la massue de Péripéthès, est destiné à jouer un rôle déterminant dans l'histoire de Thésée. Il importe donc de rappeler que l'écrasement sous le poids terrestre, dont la massue est une forme d'expression, peut indiquer soit la perdition consécutive à la perversité, soit son châtiment légal. La massue dans la main du brigand est le symbole de la perversité écrasante ; maniée par le héros, la massue devient symbole de l'écrasement de la perversité. Thésée, après avoir triomphé du géant, s'empare de sa massue. Dans tous ses combats futurs, il emploiera plutôt cette arme néfaste que l'épée qui lui avait été léguée. Pourtant, la massue de Péripéthès ne pourra jamais légitimement remplacer l'arme « prêtée par la divinité ». Même dans la main du héros, elle demeure l'arme du brigand, la massue de cuir, symbole de l'animalité. Le changement d'arme est le premier indice d'un secret changement qui se prépare dans l'attitude du héros. La victoire sur Péripéthès contient l'avertissement, encore très caché, que l'influence de la liaison filiale avec Poséidon ne tardera pas à se manifester. D'ailleurs, Péripéthès lui-même est un fils de Poséidon. Thésée vainc et tue Péripéthès. Son frère mythique et symbolique ; il triomphe de son propre danger, mais sa réussite demeure incomplète. En s'emparant de l'arme du brigand, il se prépare à jouer lui-même le rôle du vaincu. La victoire sur Péripéthès - comme d'ailleurs le nom l'indique - est la péripétie dans la vie de Thésée ; elle marque le début de la chute.
Bien qu'atteint dans sa puissance héroïque par un premier degré d'affaiblissement, Thésée ne tardera pas à prouver, en arrivant à Athènes, que la force qui subsiste en lui est encore d'une vigueur peu banale. Néanmoins, l'exploit qui marque son arrivée se trouve déjà entaché d'un soupçon de pervertissement. Il est plutôt une bravade superflue, expression de l'excitabilité vaniteuse du héros (comparable en ceci à la réaction qui entraîne Oedipe a tué son père). Les athéniens raillent le nouveau venu à cause de sa tenue barbare. Thésée saisit un char attelé de bœuf et le lance par-dessus le temple. Cette prouesse vaniteuse n'a rien d'un combat héroïque.
Amené devant Égée, Thésée reconnu comme le fils du roi grâce à l'épée et aux scandales dont il est porteur, va être fêté pour son retour. Égée, en ce temps, était uni à Médée, l'ancienne épouse de Jason. Jalouse de Thésée, elle tente de l'empoisonner. Égée la chasse du pays et se trouve ainsi, grâce à Thésée, délivrée de l'emprise de la sorcière. Le début du retour du héros, en pleine forme malgré l'indice secret de son fléchissement, est marqué par un autre événement significatif. Il tue le taureau de marathon, symbole de la domination perverse, prouvant ainsi qu'il est digne de gouverner. Thésée est invité à partager le trône avec Égée, son père corporel, symbole de l'esprit.

À l'époque, les athéniens étaient contraints d'envoyer chaque année un tribut au roi de Crète, Minos. Ce tribut à caractère symbolique est monstrueux et horrible.
Pourtant Minos dans toute l'Antiquité, était proverbial pour sa sagesse. La fable rapporte que le roi de crète a vaincu les athéniens avec l'aide de Zeus, ce qui exprime la justesse de sa cause. Cependant après sa victoire, Minos trahissant sa sagesse habituelle, infligea aux athéniens des conditions tyranniques. Ceux-ci devaient envoyer comme tribut annuel sept jeune gens et sept jeunes filles pour être jeter en pâture à un monstre, mi-homme mi-taureau, et qui se repaissait de chair humaine. Ce monstre, le Minotaure, habitait un labyrinthe souterrain bâti par dédale, père d'Icare. Le Minotaure est fils de Poséidon et de Pasiphaé, reine de Crète, épouse de Minos.
Rarement la portée psychologique du sens secret d'un mythe apparaît si clairement à travers la façade fabuleuse.
Minotaure signifie : le taureau de minos. En introduisant dans le nom la signification du symbole « taureau » on obtient pour Minotaure : la domination perverse de Minos. On possède ainsi, par simple substitution, la clé pour la traduction de l'épisode, car, si le minotaure est la domination perverse de Minos, c'est-à-dire un état psychique du roi, tous les autres détails, selon leur sens caché, doivent dériver de cette signification et contribuer à la mettre en évidence. Or, cette domination monstrueuse (le Minotaure) est l'enfant de Pasiphaé et de Poséidon (légalité du pervertissement). Le Minotaure est donc « l'enfant » du pervertissement de pasiphaé. La domination perverse de Minos est enfantée par le pervertissement de pasiphaé : ce qui signifie sur le plan psychologique que Minos est entraîné par Pasiphaé à oublier sa sagesse habituelle. Pasiphaé ne peut influencer le roi que par ses conseils, d'où résulte comme sens, aussi inattendu qu'évident, une donnée psychologique assez banale mais qui révèle, au sujet des raisons d'État et des événements mondiaux, une cause secrète que l'on cherche en vain dans les traités d'histoire : c'est sur les insistances et les conseils de sa femme que le roi infligea aux athéniens des conditions de paix dont l'injustice tyrannique est symbolisée par les jeunes gens destinés à être dévoré. On pourrait dire à juste titre que la domination perverse se nourrit de chair humaine. En d'autres termes Poséidon sous forme d'un taureau, donc le pervertissement sous forme de domination tyrannique, inspira à Pasiphaé les conseils pervers qui firent naître le Minotaure, l'injustice despotique de Minos. Mais le roi a honte du monstre enfanté par sa femme ; il le cache aux yeux des hommes. Minos et sa femme refoule la vérité monstrueuse, la domination perverse du roi habituellement sage ; ils cachent la vérité monstrueuse dans le subconscient. Ils enferment le Minotaure dans le labyrinthe. Le constructeur du labyrinthe est Dédale, c'est-à-dire que Dédale, l'homme ingénieusement perfide, à édifier l'intrigue qui a eu raison de la sagesse de Minos. Il a su appuyer les conseils de Pasiphaé par un faux raisonnement, propre à vaincre la résistance du roi et à l'aider à refouler ses hésitations. Ce raisonnement mensonger mais d'apparence solide et une construction compliquée labyrinthique. Dans le labyrinthe du subconscient, la domination perverse de Minos, le taureau de minos continue à vivre. Mais le roi est sans cesse astreint à renforcer le refoulement de sa sagesse, à « nourrir » son attitude monstrueuse par de faux motifs, à « alimenter » son remords obsédant, son regret inavoué, par un raisonnement faussement justificateur, ce qui le rend incapable de reconnaître son erreur et de renoncer aux conditions infligées aux athéniens. Les conditions tyranniques réellement imposées se trouvent donc remplacées par le tribut symbolique destiné à nourrir le monstre : le sacrifice annuel des enfants innocents que les athéniens doivent envoyer. (On remarquera que, suivant le sens caché, ce sacrifice monstrueux est parfaitement identique au meurtre d’Absyrtos au sacrifice de l'enfant innocent dans le mythe de Jason). L'illogisme de la fabulation, les symbolismes « Minotaure » et « labyrinthe » se trouvent ainsi réduit à la vérité psychologique, à la réalité, fréquente et banale, d'une intrigue à la cour royale. Cette traduction du sens caché des symboles « Minotaure » et « labyrinthe » doit se vérifier par sa fécondité quant au déchiffrement de l'épisode central du mythe : le combat du héros contre le monstre. En effet, le sens caché de la lutte de Thésée contre le minotaure est la continuation du thème psychologique jusqu'ici dégagé.

Thésée décide donc de combattre le minotaure ; c'est-à-dire qu'il nourrit le projet de s'opposer à la domination qu'exerce Minos sur les athéniens : il entend abolir l'imposition tyrannique.
Du fait que le labyrinthe où gît le monstre symbolique est le subconscient de Minos, celui-ci acquiert lui-même une signification symbolique : il représente l'homme en général, plus ou moins secrètement habité par la tendance perverse à la domination : même Minos, même l'homme pourvu de sagesse (juste mesure) peut succomber à la tentation Dominatrice. Cette généralisation représentative s'étend au héros appelés à combattre le monstre. Thésée ne se pliera pas à l'oppression venant d'autrui ; mais tout en la combattant - même victorieusement - il se peut qu'il demeure assujetti à cette faiblesse banale de la nature humaine : la vanité de croire que le dépassement de la juste mesure dans les rapports humains est une preuve de force, et de justifier ainsi la tentation d'asservir autrui par des mesures injustes. Il est au plus haut degré significatif que ce monstre vivant dans le labyrinthe du subconscient est, par sa descendance de Poséidon, un frère mythique de Thésée : il est de ce fait signalé comme le danger essentiel du héros. Comme tous héros combattant un monstre, Thésée, en affrontant le minotaure, doit lutter contre sa propre faute essentielle, la tentation perverse qui l’habite secrètement.

Le temps venu où le tribut est attendu de Crète, Thésée s'embarque avec les victimes. Selon la coutume, les voiles du vaisseau son noir en signe de deuil. Thésée promet à Egée, en cas de victoire, de l'annoncer de loin en remplaçant les voiles noires par des voiles blanches.

Les athéniens auraient pu essayer de vaincre la domination de Minos par la guerre. Mais cela ne serait qu'un événement historique et point un fait mythique. La guerre ne servirait qu'à remplacer la domination par la domination, la perversité par la perversité. Loin d'être un événement mythiquement héroïque, il ne représenterait que la solution la plus banale.

Thésée se rend en Crête  non pas à la tête d'une armée mais en héros mythiques dont le combat aura une signification psychologique. Il arrive en victime désignée. C'est l'image même de la situation psychique du héros, fils de Poséidon, menacée de devenir victimes du pervertissement. Deux dangers consécutifs à cette situation de nature psychique, attendent le héros : il doit affronter le monstre (la domination de minos qui est son propre danger), et il doit - en cas de victoire - trouver le chemin qui mène hors du labyrinthe symbole, au sens large, du danger de l'égarement subconscient de tout homme et de Thésée en particulier. Pour triompher à la fois de l'adversaire et de son propre danger subconscient, Thésée ne doit pas combattre la domination de Minos par sa propre tentation Dominatrice (ruse et mensonge) mais par la force héroïque : franchise et pureté. Le Minotaure étant le symbole de l'action perverse de Minos et des raisons subconscientes qui aveuglent sa sagesse, le combat pour vaincre le taureau de Minos ne peut être que l'action sublime du héros, le contraire du raisonnement refoulant de Minos : la force victorieuse d'un raisonnement véridique susceptible de réveiller la sagesse du roi. Dans ces forces positives, la sagesse de Minos partiellement persistante et la franchise des pures intentions de Thésée réside l'unité chances de réussite.
Roi d'Athènes, Thésée est le meilleur interprète pour plaider en faveur de son pays afin d'obtenir l'abolition de la justice. Pourtant, sa cause serait de peu d'espoir, s'il ne trouvait une aide efficace dans le camp même de l'oppresseur. C'est Ariane, fille de Minos, qui vient à son secours. Il s'agit ici d'une variation sur le thème si fréquemment rencontré : le couple « homme-femme » (héros combattant et vierge à conquérir). Mais le thème se trouve renversé. C'est la vierge qui doit sauver le héros menacé d'impuretés. Thésée ne surmontera le danger essentiel que si la vierge vient à son aide : il ne vaincra le taureau de Minos et ne trouvera l'issue du labyrinthe qu'à l'aide d'Ariane qui s'est éprise de lui. La purification grâce à l'amour, la sollicitude d'Ariane guidant le héros dans son combat, se trouve symbolisée par le peloton de fil qu'elle lui prête et qui lui permettra de ne pas s'égarer Dans les détours labyrinthiques du mensonge et de l'intrigue. Suivant le sens caché de tous les symboles rencontrés jusqu'ici, le combat contre le Minotaure est le combat spirituel contre le refoulement ; Thésée, pour vaincre le minotaure, doit convaincre Minos : il doit parvenir à persuader le roi que la perversité dominatrice ne convient pas à la sagesse. Dans le cadre de cette signification cachée d'une lutte entre les âmes, l'aide d'Ariane ne peut consister qu'en un soutien moral. Le symbole de l'aide d'Ariane, le peloton-guide (pour s'insérer dans le sens secret des symboles « Minotaure » et « labyrinthe » : subconsciente tentation dominatrice de Minos), doit être la figuration d'une aide de nature psychique et d'ordre spirituel. Né des conseils pervers de Pasiphaé et de Dédale, le « taureau de Minos » ne pourra être vaincu que grâce aux conseils dictés à Ariane par la pureté de ses sentiments pour Thésée. Ces conseils sont le fil conducteur qui guidera Thésée : les arguments essentiellement valables qui - à travers le dédale des raisons subconscientes du roi - reconduirons celui-ci à sa vraie nature, à sa sagesse. - il n'est d'ailleurs pas difficile de comprendre toute l'efficacité de l'aide d'Ariane. La situation fabuleuse une fois apportée à sa signification psychologique, il est clair qu'Ariane ne cessera pas d'assaillir le roi par ses implorations, en vue de préparer la réussite de Thésée. Minos, partagé entre l'équité et le despotisme, serait-il sourd aux supplications de sa fille ? Ce n'est qu'à l'égard des athéniens qu'il s'est endurci, et plus ou moins contre son gré, forcé qu'il était d'abriter le Minotaure, la justification monstrueuse de son injustice.
L'appui d'Ariane permet à Thésée de s'attaquer aux deux dangers de son entreprise : il le rend capable d'affronter la domination perverse du roi, le Minotaure, le rejeton de Pasiphaé et de poséidon, et, grâce au « fil d'Ariane », il trouvera le chemin qui conduit hors du dédale du subconscient, hors de l'édifice de la fausse motivation du roi. Ainsi Thésée semble être prêt à remporter la victoire mythique : il vainct le « taureau », la domination grâce à la force de l'amour, et il suffirait, pour que sa réussite soit complète, qu'il remplisse sa promesse d'amour en épousant Ariane, motif que l'on imagine le plus convaincant pour le roi. Il lierait ainsi d'amitié les deux peuples. Il vaincrait la perversité par l'action sublime.

                                                                                                       

Mais la victoire ne peut être définitive pour le héros qu'après avoir surmonté son propre danger, qu'après avoir anéanti le monstre en lui-même. Devant cette tâche essentielle, Thésée échoue. Il ne sait triompher que de la perversité de Minos. Il n'attaque pas le monstre en lui, il s'attaque à la versèrent. Un détail du combat symbolique, négligé jusqu'ici et apparemment de peu d'importance, est de nature à éclairer toute la situation psychologique et à en résumer toutes les conséquences : Thésée tue le Minotaure avec la massue de cuir, avec l'arme du brigand. Ce très symbolique laisse devinait que Thésée, en acceptant l'aide d'Ariane, use d'une arme perfide. Son amour n'est que prétexte et calcul. Il se comporte lui-même en brigand. L'arme de la victoire, la massue de cuir, fait prévoir que sa réussite sera sans valeur et sans bénéfice. Il a su triompher de Minos grâce à la puissance de l'amour, et il ne bénéficiera pas de la victoire obtenue par cette puissance qui n'est pas la sienne. Loin d'être héroïque, sa victoire en un, sur le Minotaure, n'est qu'un exploit pervers, une trahison. Il exploite l'amour d'Ariane pour parvenir à ses fins, et il l'a trahi. Or, le fil d'Ariane aurait dû le conduire non seulement hors du dédale subconscient de Minos, mais hors du labyrinthe de son propre subconscient.

Thésée s'y égare, et cet égarement décide de toute son histoire future. Il tombe amoureux de la soeur d'Ariane, phèdre. Sa faiblesse d'âme sacrifie l'amour secourable à la séduction perverse et l'entraîne vers son destin. Phèdre figure le choix pervers et impur. Elle n'est pas, telle Médée, la femme démoniaque, la sorcière qui envoûte et dévore l'homme ; elle représente un autre type de séduction perverse et impure : la femme nerveuse, hystérique, incapable d'un sentiment juste et mesuré, dont l'amour-haine tantôt exalté, tantôt inhibée, use de la force de l'âme par la nature capricieuse et querelleuse de ses exigences. Le mythe représente ce type de femme fréquemment sous l'image de l'amazone qui combat l'homme, qui tue son âme.
Thésée ne quitte pas la crête en héros ; il s'en va tel un brigand. Il enlève Ariane et Phèdre, les filles de minos (il fait subir à Minos ce que celui-c fait subir aux athéniens). En route vers Athènes, Thésée abandonne Ariane. Son entreprise malgré sa victoire sur le taureau de Minos, s'est converti en défaite essentielle. Dans sa trahison se trouvent réuni aussi bien les traits de la perversité dominatrice que ceux de la perversion sexuelle.

La voile noire, signe de deuil, sous laquelle Thésée est parti, devient le symbole de la perversité, l'insigne des forces des ténèbres. Le héros navigue désormais sous leur empire. Il ne rentre pas en vainqueur, et détail important, d'une signification mythiquement profonde, Thésée oublie de hisser la voile blanche, comme il aurait dû le faire pour annoncer sa réussite.
Égée, en apercevant la voile noire, se précipite dans la mer. Le roi en tant que père corporel, se tue par Désespoir, persuadé que son fils avait corporellement péri. Le roi, père mythique, se jetant dans les profondeurs de la mer, symbolise le fait essentiel : le héros sera désormais et définitivement abandonné par l'esprit qui est refoulé dans les profondeurs marines, symbole du subconscient. C'est l'autre père mythique, Poséidon, qui devient l'unique régent du sort du héros.

À partir du retour de Thésée, sa défaite est consommée. Le reste du mythe n'est plus que l'illustration du châtiment. Ici comme partout, le châtiment n'est pas extérieurement ajouté à la défaite (à la coulpe), il n'en est que la conséquence déployée (la justice inhérente). Or, la défaite est le début de la banalisation du héros ; le châtiment sera donc la banalisation déployée.
Avant d'entrer dans la traduction de cette deuxième partie du mythe, quelques remarques s'imposent.
On a vu que la défaite coupable du héros est caractérisée par les deux aspects typiques du pervertissement banal : l'intrigue (domination perverse) et le faux choix (sexualité pervertie). Ces deux datent et déterminent d'ailleurs également le sort du couple : Minos-Pasiphaé. Thésée subit en somme le sort de Minos, et c'est pourquoi sa victoire sur le Minotaure n'a été qu'éphémère. La sagesse du roi se trouve mise en déroute par l'influence de Pasiphaé, et l'élan héroïque de Thésée sera définitivement détruit par l'emprise de Phèdre. Le mythe passe sous silence le détail des manigances de Phèdre et ne rapporte que son amour pour le fils de Thésée, Hippolyte, épisode qui la caractérise parfaitement.
Il est hautement significatif que le déclin du héros se reflète dans le sort d'Ariane. Héros-combattant, Thésée aurait dû protéger l'héroïne contre l'« assaut du monstre » ; héros défaillant, il livre Ariane au pervertissement. Abandonnée à Naxos et désespérée, Ariane succombe au déchaînement pervers des désirs, elle épouse la vie orgiaque, ce que le mythe exprime symboliquement, en rapportant qu'Ariane devient l'épouse de Dionysos (symbole du déchaînement frénétique des désirs). Le mythe accorde aux conséquences néfastes du choix faux du partenaire une importance telle, que - dans les mystères d'Eleusis - Ariane et Dionysos deviennent symboliquement « le couple infernal » (le contraire du couple héros-vierge), et l'on verra que Thésée, à son tour, se trouve finalement entraîné vers l'enfer grec (le tartare) pour y succomber. Par ce parallélisme du destin fatal d'Ariane et de Thésée, le héros devenu parjure est tenu responsable du sort de l'héroïne qu'il aurait dû libérer. Le mythe porte ainsi à son apogée le thème du choix juste ou faux du partenaire de la vie, en lui attribuant - sur le plan symbolique - une sorte de prédestination.

[...]

Le mythe du châtiment commence dès le retour du héros. Après la mort d'Égée, Thésée règne seul sur Athènes. Les conséquences de l'influence de Phèdre, du faux choix (auparavant illustré par l'emprise de Pasiphaé sur Minos) n'apparaîtront qu'après un certain temps d'incubation. La force héroïque de Thésée suffit encore pour qu'il fasse figure de sage. Il crée des institutions publiques. Ces travaux de l'intellect ne sauront pas suppléer aux combats d'esprit désormais abandonné. En dépit de l'organisation De la vie extérieure, la corruption intérieure du régent ne tardera pas à devenir le fléau du pays. Pourtant l'histoire de Thésée ne développe pas ces conséquences extérieures, thème central du mythe d'Oedipe. La fable se contente d'illustrer le sort individuel du héros.

Périthoos, aventurier fanfaron et hardi, fils d'Ixion, force les frontières et se met à piller la contrée. C'est en somme un brigand, pareil à ceux que le héros dans la force de sa jeunesse avait combattus et vaincus. Thésée s'arme pour aller à sa rencontre. Mais au lieu de combattre Périthoos, Thésée se prend d'admiration pour son adversaire et se lie d'amitié intime avec le brigand, indice que la chute est proche et définitive. Au début, l'influence de Thésée est encore assez forte pour qu'ils arrivent à vaincre ensemble les centaures. Ce n'est pas la banalité plate, trait caractéristique de la multitude (centaures), qui sera le danger insurmontable de l'homme-héros, Thésée, mais le déchaînement insatiable des désirs. Aussi, Périthoos et Thésée ne chassent-ils pas les centaures pour en triompher sublimement mais à seule fin de leur disputer la place au « festin » et de s'emparer de leur butin. Bientôt, Thésée, en admiration devant la témérité sans bornes de son compère, n'est plus que l'émule de celui qu'il choisit comme maître. Ensemble ils enlèvent Hélèna, soeur de Castor et Pollux. Ils la traitent comme butin et la jouent aux dés. Thésée se comporte en par ses brigands, et ceci non plus seulement comme dans l'épisode de Minos, par la ruse de ses intentions secrètes, mais par l'éclatant cynisme de ses forfaits. Dès lors, il n'y a plus de recul possible. La pente abrupte incline vers l'abîme. Thésée échouera dans le plus profond des abîmes, le tartare, symbole de la légalité du subconscient qui lie à la coulpe, son châtiment.

Psychologiquement parlant, la légalité qui gouverne l'insatiabilité dionysiaque (dont Thésée et Ariane deviennent les victimes) se traduit par le fait que ce déchaînement ostentatoire et sans frein des désirs, entraîne à une déchéance sans limite. L'homme en proie à cette déchéance coupable, de crainte que la honte de ses forfaits passés ne surgisse en pleine lumière, se voit contraint à se justifier inlassablement par une manière de fidélité au passé honteux, par un dépassement constant du degré d'ignominie, par une crânerie cynique et absurde (symbolisé par Périthoos qui entraîne Thésée dans l'abîme infernal). La culpabilité ainsi refoulée se transforme en une sorte de vanité à l'égard de la déchéance dont la devise est « tout oser ». Les déchus se voient entraîner à me souffrir aucune limitation, à me reconnaître aucune interdiction émanant de l'esprit trahi, a bravé toute inhibition spirituelle.
Le mythe exprime cet entraînement cynique par une image très saisissante : les dés jetés pour Helena tombent en faveur de Thésée. Afin de dédommager Périthoos, Thésée se déclare prêt à participer au forfait le plus présomptueux qui soit. Sur la proposition de son complice, Thésée accepte de le suivre dans le tartare, afin de l'aider à enlever Perséphoné, l'épouse de Hadès.
Le projet de ravir Perséphoné établit un lien entre le mythe de Thésée et les mystères d'Eleusis. Ces mystères - centre culturel de l'ancienne Grèce - résume symboliquement le thème fondamentalement commun à toutes les mythologies : les aventures du désir terrestre : son pervertissement et sa sublimation. L'image centrale des mystères raconte le rapt de Perséphoné (désir terrestre) par Hadès (refoulement) et le retour de Perséphoné sur l'Olympe (sublimation).
Afin de comprendre du mythe de Thésée la partie finale qui exprime le châtiment du héros défaillant, il importe d'entrevoir que le projet de Thésée d'enlever Perséphoné afin de la livrer à Périthoos, s'oppose au retour de Perséphoné sur l'Olympe (à la sublimation du désir).

Les mystères d'Eleusis ont originairement une signification agraire. Perséphoné est la fille de Demeter qui offre aux hommes les fruits de la terre : la nourriture des lettres, et surtout, le blé. Demeter enseigne aux hommes (représentés par Triptolème) l'agriculture. Or, la « fille du blé » - le grain - pour devenir épi, doit être « enseveli » dans la terre. Ainsi se résume l'ancienne signification agraire du « rapt » de Perséphoné par la divinité souterraine, Hadès.
Mais il est parfaitement clair que l'allégorisme agraire ne contient aucun élément mystérieux. Nul n'a besoin d'être initié pour savoir que de la semence du grain résulte la récolte du blé. Pour que les mystères d'Eleusis aient un sens profond dont la compréhension exige l'initiation, il faut que l'allégorisme initial ait subi la transformation en symbolisme mythique, chargé d'une secrète signification psychologique.
Or, la région souterraine est, en langage mythique, le symbole constant du subconscient dont Hadès et le souverain. (La loi souveraine d'après laquelle tout refoulement du désir exalté et coupable subit son châtiment.) Cette signification psychologique du rapport « Perséphoné - Hadès » est attesté par le mythe lui-même de la manière la plus éclatante : les filles du couple « infernal » - sont les Erinnyes, symbole qui n'a plus aucune signification agraire, mais qui fait surgir toute la portée profonde du sens psychologique : la culpabilité qui obsède le nerveux est la conséquence (fille) du désir refoulé (Perséphoné) tombé sous l'emprise de la légalité subconsciente (Hadès).

Extrait du livre de Paul Diel " le symbolisme dans la mythologie grecque" édité en 1966 chez Payot avec une préface de Gaston Bachelard dont je conseille la lecture et que vous trouverez à la vente en librairie.

Extraits de philosophes

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