Apulée - L'âne d'or ou les Métamorphoses
Le Conte d'amour et de Psyché.Deuxième épreuve : les brebis à la toison d'or (VI, 11, 3 - 13, 1) Cependant Cupidon, confiné au fond du palais, y subissait une réclusion sévère. On craint qu'il n'aggrave sa blessure par son agitation turbulente : surtout, on veut le séquestrer de celle qu'il aime. Ainsi séparés, bien que sous le même toit, les deux amants passèrent une nuit cruelle. Le char de l'Aurore se montrait à peine, que Vénus fit venir Psyché, et lui dit : Vois-tu ce bois bordé dans toute sa longueur par une rivière dont les eaux sont déjà profondes, bien qu'encore voisines de leur source ? Un brillant troupeau de brebis à la toison dorée y paît, sans gardien, à l'aventure:
il me faut à l'instant un flocon de leur laine précieuse.
Va, et fais en sorte de me le rapporter sans délai.
(VI, 12, 1) Psyché court, vole; non pour accomplir l'ordre de la déesse, mais pour mettre un terme à ses maux
dans les eaux du fleuve. Or, voici que, de son lit même, un vert roseau, doux organe d'harmonie, inspiré tout à coup
par le vent qui l'agite et qui murmure, se met à prophétiser en ces termes : Pauvre Psyché, déjà si
rudement éprouvée, garde-toi de souiller par ta mort la sainteté de mes ondes, et n'approche pas du formidable troupeau qui paît sur ce rivage. Tant que le soleil de midi darde ses rayons, ces brebis sont possédées d'une espèce de rage. Tout mortel alors doit redouter les blessures de leurs cornes acérées, le choc de leur
front de pierre, et la morsure de leurs dents venimeuses; mais une fois que le méridien aura tempéré l'ardeur de l'astre du jour, que les brises de la rivière auront rafraîchi le sang de ces furieux animaux, tu pourras sans crainte gagner ce haut platane nourri des mêmes eaux que moi, et trouver sous son feuillage un sûr abri. Alors tu n'auras, pour te procurer de la laine d'or, qu'à secouer les branches des arbres voisins, où elle s'attache par
flocons.
(VI, 13, 1) Ainsi le bon roseau faisait entendre à Psyché de salutaires conseils. Elle y prêta une oreille attentive, et n'eut pas lieu de s'en repentir; car, en suivant ses instructions, elle eut bientôt fait sa collecte furtive, et retourna vers
Vénus, le sein rempli de cet or amolli en toison. Troisième épreuve : l'eau de la source du Styx (VI, 13, 2 - 16, 1) Psyché ne se vit pas mieux accueillie après le succès de cette seconde épreuve. Vénus,
fronçant le sourcil, dit avec un sourire amer : Toujours la même protection frauduleuse ! Mais je vais faire un essai décisif de ce courage si ferme et de cette conduite si prudente.
Vois-tu ce rocher qui se dresse au sommet de cette montagne escarpée ? Là jaillit une source dont les eaux noirâtres,
recueillies d'abord dans le creux d'un vallon voisin, se répandent ensuite dans les marais du Styx, et vont grossir les rauques ondes du Cocyte. Tu iras au jet même de la source puiser de son onde glaciale, et tu me la rapporteras dans cette petite bouteille.
Elle dit, et lui remet un flacon de cristal poli, en accompagnant l'injonction des plus terribles menaces.
(VI, 14, 1) Psyché hâte le pas pour gagner le sommet du mont, croyant bien cette fois y trouver le terme de sa misérable existence. Arrivée au haut, elle voit toute l'étendue et la mortelle difficulté de sa tâche, et quels périls il lui faut surmonter. En effet, le rocher s'élevait à une hauteur effroyable, et c'était à travers ses flancs abrupts, d'un escarpement inaccessible, que l'onde formidable trouvait passage. Elle s'échappait par une foule de crevasses, d'où elle glissait perpendiculairement, et s'encaissait ensuite dans une rigole étroite et profonde, qui la conduisait inaperçue jusqu'au fond du vallon. Du creux des rocs qui enfermaient ses deux rives, on voyait s'allonger de droite et de gauche d'affreuses têtes de dragons aux paupières immobiles, aux yeux constamment ouverts; gardiens terribles et qui ne s'endorment ni ne se laissent gagner. De plus, ces eaux étaient parlantes et savaient se défendre elles-mêmes : Arrière ! Que fais-tu ? où vas-tu? Prends garde ! fuis ! Tu mourras!
Tels étaient les avertissements qu'elles ne cessaient de faire entendre. Psyché resta pétrifiée en voyant l'impossibilité de sa tâche. Présente de corps, elle est absente par ses sens.
(VI, 15, 1) Accablée par la conscience de son danger, elle n'a pas même la triste ressource des larmes; mais une providence tutélaire veillait sur cette âme innocente. Le royal
oiseau de Jupiter, l'aigle aux serres ravissantes, parut tout à coup, déployant ses grandes ailes. Il n'a pas oublié combien il fit autrefois sa cour au souverain des dieux par le rapt de ce jeune Phrygien qui lui sert à boire, et que ce fut Cupidon
lui-même qui l'inspira. Des hauteurs de l'Olympe, il vient offrir bien à propos son assistance, jaloux de se rendre agréable au mari en secourant sa jeune épouse. Le voilà donc qui voltige autour de Psyché, et lui dit
: Eh quoi ! pauvre innocente, croyez-vous que vos mains novices puissent dérober une seule goutte de l'eau de cette fontaine ? Vous flattez-vous d'approcher seulement de ses bords sacrés et terribles ? Ne savez-vous pas que les dieux, que Jupiter lui-même, ne les nomment qu'en tremblant ? qu'ils jurent par la majesté du Styx, comme vous autres mortels vous jurez
par la puissance des dieux ? Mais confiez-moi ce flacon. Il
dit, s'en empare, et ne tarde pas à le rapporter plein, passant et repassant, majestueusement soutenu par le balancement de ses puissantes ailes, entre ces deux rangs de gueules béantes, qui ne peuvent que montrer leurs dents terribles et darder sans effet leur triple langue. L'onde s'irrite, et lui crie : Loin d'ici, sacrilège ! Mais il disait : C'est par l'ordre de
Vénus; et ce mensonge adroit lui servit aussi de passeport.
(VI, 16, 1) Psyché reçoit avec joie le flacon si
heureusement rempli, et le rapporte en toute hâte à Vénus;
mais rien n'apaise l'implacable déesse. Quatrième épreuve : l'expédition chez Proserpine (VI, 16, 2 - 21, 4) Avec un sourire sinistre, et qui présage de nouvelles et plus périlleuses exigences, elle l'apostrophe en ces mots : il faut que tu sois magicienne, et magicienne des plus expertes, pour avoir mis si lestement de telles commissions à fin;
mais voici, ma poulette, ce qu'il te faut encore faire pour
moi. Prends cette boîte (elle lui en remit une au même instant) et va de ce pas aux enfers, au sombre ménage de pluton. Tu présenteras la boîte à Proserpine, et tu lui diras : Vénus demande un peu de votre beauté, ce qu'il en faut pour un jour seulement; car toute sa provision s'est épuisée par la consommation qu'elle en a faite en servant de garde-malade à son fils. Va, et ne tarde pas à retourner;
car je veux m'en servir avant de paraître au théâtre de l'Olympe.
(VI, 17, 1) Psyché crut recevoir le coup de grâce.
Cette fois l'ordre était clair : c'était tout simplement l'envoyer à la mort. Comment en douter ? On voulait que d'elle-même elle descendît au Tartare et visitât les Mânes. Sans plus tarder, elle court vers une tour élevée, avec l'intention de se précipiter du sommet. C'était, suivant elle, le meilleur et le plus court chemin pour aller aux enfers; mais de la tour s'échappe tout à coup
une voix : Quelle est, pauvre enfant, cette idée de se jeter ainsi la tête la première ? Pourquoi reculer devant cette épreuve et vous sacrifier sans but ? Votre âme une fois séparée du corps ira bien en effet au fond du Tartare, mais pour n'en plus revenir. écoutez-moi :
(VI, 18, 1) Lacédémone, cette noble cité de l'Achaïe, n'est pas loin; elle touche au Ténare, où l'on
n'arrive que par des sentiers peu connus; c'est un soupirail
du sombre séjour de Pluton. Osez vous engager dans sa bouche
béante : devant vous s'ouvrira une route où nul pas n'a laissé sa trace, et qui va vous conduire en ligne directe au palais de l'Orcus; mais il ne faut pas s'aventurer dans ces ténèbres les mains vides. Ayez à chaque main un gâteau de farine d'orge pétri avec du miel, et à la bouche deux petites pièces de monnaie.
Vers la moitié du chemin infernal, vous rencontrerez un âne
boiteux, chargé de fagots. L'ânier, boiteux aussi, vous demandera de lui ramasser quelques brins de bois tombés de sa charge; passez outre, et ne répondez mot; Bientôt vous arriverez au fleuve de l'érèbe. Charon est là , exigeant son péage; car ce n'est qu'à prix d'argent qu'il passe les arrivants sur l'autre rive. Ainsi l'avarice vit encore chez les morts ! Ni Charon, ni Pluton même, ce dieu si grand, ne font rien pour rien. Le pauvre en mourant doit se mettre en fonds pour le voyage : nul n'a droit de rendre l'âme que l'argent à la main. Vous donnerez à ce hideux
vieillard, à titre de péage, une de vos deux pièces de monnaie. Il faut qu'il la prenne de sa main à votre bouche.
En traversant cette onde stagnante, vous verrez flotter le corps d'un vieillard, qui vous tendra ses mains cadavéreuses, vous priant de le tirer à vous dans la barque. La compassion
ne vous est pas permise; n'en faites rien.
(VI, 19, 1) Le fleuve franchi, vous rencontrerez à quelques pas de vieilles femmes occupées à faire de la toile, et qui vous demanderont d'y mettre la main : ne vous avisez pas d'y toucher, autant de pièges tendus par Vénus, et elle vous en réserve bien d'autres pour vous amener à vous dessaisir de l'un au moins de vos gâteaux : n'en croyez
pas la perte indifférente, il vous en coûterait la
vie. Un énorme chien à trois têtes, monstre formidable, épouvantable, sans cesse aboyant aux mânes qu'il effraye sans leur pouvoir faire d'autre mal, jour et nuit
fait sentinelle au noir vestibule de Proserpine; c'est le gardien du manoir infernal. Vous le ferez taire aisément en
lui jetant un de vos gâteaux, et vous passerez outre. Vous pénétrerez ainsi jusqu'à Proserpine, qui vous fera le plus aimable accueil, vous engagera à vous asseoir et à prendre part à un somptueux festin; mais ne vous asseyez que par terre, et n'acceptez d'autre aliment que du pain noir. Vous exposerez ensuite l'objet de votre mission, et vous prendrez ce qu'elle vous donnera. Cela fait, retournez
sur vos pas. Vous vous rachèterez encore de la gueule du chien au prix de votre second gâteau. Vous repasserez
le fleuve, en livrant à l'avare nautonier votre autre pièce de monnaie; vous reprendrez le chemin que vous aurez suivi en venant, et vous reverrez ainsi la voûte céleste: mais, sur toutes choses, ne vous avisez pas d'ouvrir la boite qui vous aura été confiée, et de porter les yeux sur ce qu'elle renferme. Point de regard curieux sur ce trésor secret de la beauté divine.
(VI, 20, 1) Ainsi parla cette tour prévoyante en véritable oracle. Psyché dirige aussitôt ses pas vers le Ténare.
Munie de ses deux oboles et de ses deux gâteaux, elle descend
rapidement le sentier souterrain; passe, sans mot dire, devant l'ânier boiteux; donne le péage au nocher, reste sourde aux instances du mort qui surnage; ne tient compte de l'appel insidieux
des tisseuses; et, après avoir endormi, en lui abandonnant son gâteau, la rage du gardien infernal, elle pénètre dans la demeure de Proserpine. En vain son hôtesse lui
offre un siège douillet, des mets délicats; elle persiste à s'asseoir à ses pieds sur la terre, et à n'accepter qu'un morceau de pain grossier. C'est en cette posture qu'elle s'acquitte du message de Vénus. La boîte au contenu mystérieux lui est remise hermétiquement close; et, après avoir de nouveau fermé la gueule de l'aboyeur avec le second gâteau, désintéressé le nocher avec la seconde obole, elle quitte les enfers plus gaillardement qu'elle n'y était descendue, et elle revoit et adore la blanche lumière des cieux; mais, tout empressée qu'elle est de terminer sa mission, une curiosité téméraire s'empare de son esprit. En vérité, se dit-elle, je serais bien simple, moi qui porte la beauté des déesses, de n'en pas retenir un peu pour mon usage, quand ce serait peut-être le moyen de ramener le charmant objet que j'adore.
(VI, 21, 1) En disant ces mots, elle ouvre la boîte. De beauté point;
objet quelconque ne s'y montre : mais à peine le couvercle est-il soulevé, qu'une vapeur léthargique, enfant de l'érèbe, s'empare des sens de Psyché, se répand comme un voile épais sur tous ses membres, et la terrasse au milieu du chemin, où elle reste étendue dans l'immobilité du sommeil ou plutôt de la mort.
Cependant la blessure de Cupidon s'était cicatrisée. La force lui était revenue, et avec elle l'impatience de revoir sa Psyché. Il s'échappe à travers l'étroite fenêtre de sa prison. Ses ailes rafraîchies et reposées le transportent en un clin d'oeil près de son amante. Il la dégage avec soin du sommeil qui l'oppresse, et qu'il replace dans sa boîte. Puis, de la pointe d'une de ses flèches, il touche légèrement Psyché et la réveille : Eh quoi ! malheureuse enfant, encore cette curiosité qui te perd ! Allons, hâte-toi de t'acquitter de la commission de ma mère; moi, j'aviserai au reste à ces mots, l'amant ailé reprend son vol, et Psyché se dépêche de porter à Vénus le présent de Proserpine.
Jupiter
intervient en faveur de Psyché et
fait d'elle une immortelle (VI, 22, 1 - 23, 5) (VI, 22, 1) Cependant
Cupidon, que sa passion dévore et qui craint, à l'air courroucé de sa mère, que la Sagesse ne vienne à se mettre de la partie, se résout à tenter les grands moyens. De son aile rapide il perce la voûte des cieux, va présenter requête à Jupiter, et plaide sa cause devant lui. Le maître des dieux pince doucement ses petites joues, les attire près de ses lèvres, les baise, et lui dit : Monsieur mon fils, vous n'avez guère respecté en moi la suprématie déférée par le consentement des dieux : de moi le régulateur des éléments, le moteur des révolutions célestes, vous avez fait le point de mire ordinaire de vos flèches. Vous m'avez compromis dans je ne sais combien d'intrigues amoureuses avec des mortelles.
En dépit des lois, notamment de la loi Julia et de toute morale publique, vous avez chargé ma conscience, aussi bien
que ma réputation, d'assez scandaleux adultères.
Flamme, serpent, oiseau, bête des bois, bête d'étable;
il n'est métamorphose ignoble où vous n'ayez ravalé la majesté de mes traits; mais je veux être débonnaire, et me rappeler seulement que vous avez grandi entre mes bras. J'accède à votre requête; mais arrangez-vous pour qu'elle ne se renouvelle pas. D'autre part, en revanche, s'il se montre là -bas quelques minois hors de ligne, souvenez-vous que vous me devez une compensation.
(VI, 23, 1) Il dit, et ordonne à Mercure de convoquer à l'instant tout le conseil des dieux, sous peine pour chaque immortel absent d'une amende de dix mille écus. Grâce à la menace, on fut exact à la céleste conférence.
Alors le grand Jupiter, assis sur un trône élevé, adresse ce discours à l'assemblée : Dieux conscrits du rôle des Muses, vous savez que c'est moi-même qui
ai fait l'éducation de ce jouvenceau. Or, j'ai décidé de mettre un frein aux emportements de sa jeunesse ardente. Il n'a que trop fait parler de lui pour des adultères et des désordres de tous genres. Je veux ôter à cette fougue tout prétexte, et la contenir par les chaînes de l'hymen.
Il a fait choix d'une jeune fille, et lui a ravi sa fleur. Elle est sa possession, qu'il la garde : heureux dans ses embrassements, qu'il en jouisse à toujours. Se tournant alors du côté de
Vénus : Vous, ma fille, dit-il, ne vous affligez pas; ne craignez pour votre rang ni pour votre maison l'injure d'une mésalliance.
Il s'agit de noeuds assortis, légitimes, et contractés selon les formes du droit.
L'apothéose de Psyché et le mariage (VI, 23, 5 - 24, 4) Il ordonne aussitôt à Mercure d'enlever Psyché, et de l'introduire devant les dieux. Jupiter présente à la
jeune fille une coupe d'ambroisie : Prends, Psyché, lui dit-il, et sois immortelle. Cupidon et toi, qu'un noeud indestructible vous unisse à jamais.
(VI, 24, 1) Soudain se déploie le splendide appareil des noces. Sur le lit d'honneur, on voyait l'époux tenant dans ses bras sa Psyché; et, dans la même attitude, Jupiter avec sa Junon. Venaient ensuite tous les dieux, chacun selon son
rang. Le nectar circule (c'est le vin des immortels); Jupiter a son jeune berger pour échanson; Bacchus verse rasade au
reste de l'assemblée. Vulcain s'était chargé de la cuisine. Les Heures semaient partout les fleurs et les roses, les Grâces répandaient les parfums, les Muses faisaient entendre leurs voix mélodieuses. Apollon chanta en s'accompagnant de la lyre, et les jolis pieds de Vénus dessinèrent un pas gracieux, en le réglant sur ces accords divins. Elle-même avait ainsi complété son orchestre : les Muses chantaient en choeur, un Satyre jouait de la flûte, un Faune du chalumeau.
C'est ainsi que Psyché fut unie à Cupidon dans les formes. Une fille naquit de leurs amours : on l'appelle la Volupté. Extraits de philosophesSaint Augustin, Saint Thomas mal, Saint thomas dieu, Sartre, Schopenhauer, Sénèque, Spinoza amour, Spinoza appendice, Spinoza dieu, Steiner, Rabindranah Tagore, Tocqueville. Tao, Saint-Thomas question 48 Somme théologique, Saint-Thomas, somme théologique, question 3
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