Boèce
Consolations philosophiques
Le bonheur, qui jadis inspirait mes accents, A fait place aux sombres alarmes; C'est une Muse en deuil qui me dicte ces Chants, Aujourd'hui trempé de mes larmes. Oui, les Muses, du moins, m'ont escorté sans peur Dans la voie ou mon came succombe; Gloire de mon printemps, d'une dernière fleur Elles parfumeront ma tombe. Hélas ! Avant le temps, le malheur m'a fait vieux; le chagrin, les soucis arides Sur ma tête en un jour ont blanchi mon cheveu, Et la dans ma chair creusé des rides. Bienvenue est la Mort quand, sans presser le pas,
Elle nous délivre à notre heure; Hélas! Elle est aveugle, et ne s'informe pas Si sa victime rit ou pleure. Au temps où tous mes voeux étaient comblés, La Mort Effleura mon front sans scrupule; Trahi par la Fortune, accablé par le Sort, Quand je l'implore, elle recule. Vous vantiez mon bonheur : vous savez à présent, Mes amis, s'il était fragile ! Un coup de foudre éclate, et le voilà gisant Ce fier colosse aux pieds d'argile. [….] « Au demeurant, quel est le but de tout ce bruyant étalage ?
Apparemment de chasser la pauvreté par l'abondance. Or, c'est tout le contraire qui arrive. Ce n'est qu'à grand renfort d'étais qu'on peut soutenir une si lourde masse d'objets précieux. La vérité, c'est que les besoins s'accroissent en proportion des richesses, et qu'au contraire ils se réduisent à peu de chose pour l'homme qui les règle sur les exigences de la nature, et non sur l'insatiabilité de ses désirs. Vous ne trouvez donc en vous aucun bien qui
vous soit propre, que vous demandez ainsi vos richesses aux objets extérieurs et étrangers à votre nature ? Par
quel renversement des choses, un être vivant, presque un dieu, puisqu'il est doué de raison, s'imagine-t-il qu'il n'a d'autre éclat que celui qu'il doit à la possession de quelques hochets inanimés ? « Le reste des créatures est satisfait de ce qu'il possède mais vous, que votre raison assimile à Dieu, ce sont les objets les plus bas que vous choisissez
pour orner votre nature si relevée ! Et vous ne sentez pas quelle injure vous faites à votre créateur! Il a voulu que sur la terre l'homme tînt le premier rang parmi tous les êtres, et vous, vous ravalez votre dignité au-dessous des créatures les plus infimes. Car s'il est vrai qu'un bien ait plus de prix que celui qui le possède, comme vous faites consister les vôtres dans les plus vils objets, d'après
votre estimation même, ces objets vous priment en valeur. Et, par le fait, l'estimation est exacte. Car telle est la condition de l'homme, que s'il est supérieur au reste des créatures lorsqu'il a conscience de lui-même, il tombe plus bas que la brute lorsqu'il cesse (de se connaître). Chez les animaux, cette ignorance de soi-même est une conséquence de leur nature; chez l'homme, c'est un effet de sa dégradation. « Que votre erreur est donc grande, vous qui pensez que l'on peut s'embellir au moyen d'une parure étrangère
! C'est tout simplement impossible. En effet, quand un objet doit son éclat à des ornements d'emprunt, ce sont ces ornements qu'on admire. Quant à l'objet qu'ils recouvrent et' dérobent aux regards, il n'en conserve pas moins toute sa laideur. De plus, je ne puis accorder que ce qui peut nuire à qui le possède soit un bien. Est-ce due je mens ? Non, diras-tu. Or, les richesses ont souvent nui à ceux qui les possédaient, par cette raison que les scélérats les plus pervers, et conséquemment les plus avides du bien d'autrui, se croient seuls dignes de posséder
tout ce qu'il y a au monde d'or et de pierres précieuses.
Toi donc, qui trembles et redoutes aujourd'hui l'épieu et le glaive, si tu étais entré sans bagages clans ce sentier de la vie, tu chanterais au nez du voleur. étrange félicité que celle qui vient des richesses de la terre, si on ne peut l'acquérir qu'aux dépens de sa sécurité
! De l'âge d'or, ô félicité pure ! l'homme ignorant votre luxe fatal Vivait de fruits qu'une avide culture
N'arrachait pas encore au sol natal. Avait-il faim ? Dans la forêt prochaine, Après un jour d'abstinence, le chêne lui
fournissait un facile régal.
Le miel jamais dans sa coupe rustique N'avait au vin mêlé ses doux poisons; Jamais de Tyr la pourpre magnifique n'avait de l'Inde imprégné les toisons. Dans le torrent il puisait son breuvage ; Un large pin lui prêtait son ombrage, Il s'endormait sur un lit de gazons.
Aucun vaisseau sur une mer profonde n'avait encore sillonné son chemin ; Aucun traitant aux limites du monde n'avait porté l'or et l'amour du gain, Jamais au bruit des haineuses fanfares
n'étincelait entre des mains barbares un glaive affreux, rouge de sang humain.
Et pourquoi donc le démon des batailles eût-il soufflé sur ce peuple naissant Quel est le prix de tant de funérailles
? Pur vivre heureux faut-il verser le sang ?
Ah ! Plût au ciel que le siècle où nous sommes pût revenir aux moeurs des premiers hommes, Et fût comme eux de tout meurtre innocent ! Mais l'avarice a desséché les âmes! Tout se flétrit à son souffle mortel L'Etna jamais n'a vomi
plus de flammes. Ce fut un fou dangereux et cruel Qui s'avisa d'arracher à l'abîme La perle et l'or, ces complices du crime, Dans les enfers relégués par le Ciel :
« Que dirai-je des dignités et de la puissance, que, clans vôtre ignorance de la véritable dignité et de la véritable puissance, vous élevez jusqu'au ciel ? Si elles échoient à un scélérat, duels incendies, quelles éruptions de l'Etna, quels déluges peuvent égaler leurs ravages? Tu t'en souviens sans doute, à cause de l'arrogance des consuls, vos ancêtres voulurent abolir le pouvoir consulaire, qui avait inauguré leur liberté
. Déjà , à cause de l'arrogance des rois, ils avaient supprimé dans Rome jusqu'au nom de roi. Et si
par aventure, bien rarement, il faut le dire, les dignités sont conférées à des gens de bien, quel titre peut les recommander, sinon la moralité de ceux qui en sont revêtus ? D'où il faut conclure que ce n'est pas la
vertu qui tire son éclat des dignités, mais que ce sont les dignités qui empruntent le leur à la vertu.
« Après tout, en quoi consiste cette puissance humaine, si désirable et si éclatante à vos yeux ? Vous ne regardez donc pas, ô vils animaux, à qui vous croyez
commander ? Si tu voyais une souris s'arroger l'autorité et la puissance sur toutes les autres souris, quels éclats de rire ne pousserais-tu pas ? Or, si tu songes à votre corps, que trouveras-tu de plus faible que l'homme, puisque souvent la
piqûre d'une mouche chétive ou l'introduction d'un ver dans quelque organe suffit pour lui donner la mort ? Et quel pouvoir un homme peut-il exercer sur un autre homme, si l'on excepte le corps, et ce qui est moins que le corps, je veux dire les biens? Pourra-t-on jamais commander à une âme libre?
Est-il possible d'ébranler la résolution d'un esprit ferme et de troubler sa sérénité ? Un tyran s'était imaginé que par la violence des supplices il contraindrait certain homme libre à dénoncer les complices d'une conspiration tramée contre lui; mais l'autre se coupa la langue avec les dents et la cracha au visage du farouche tyran. Ainsi, ces tortures que le tyran regardait comme un instrument de cruauté, furent pour le sage une occasion de vertu. Est-il d'ailleurs un traitement qu'un homme puisse infliger à un autre sans être exposé à le subir à son tour? D'après la tradition, Busiris, qui avait coutume d'immoler ses hôtes, fut mis à mort par Hercule son hôte.
Régulus avait jeté dans les fers un grand nombre de carthaginois pris à la guerre; mais bientôt lui-même tendit les mains aux fers de ceux qu'il avait vaincus. Quelle puissance accordes-tu donc à un homme qui ne saurait faire que, tout ce qu'il peut contre un autre, un autre ne le puisse contre lui
?
« Mais il y a plus : si les dignités et la puissance possédaient naturellement et en propre quelque chose de bon, elles ne tomberaient jamais en partage aux méchants. II n'est pas de règle en effet que les contraires se recherchent. La nature répugne à une pareille alliance. Or, comme il est incontestable que d'ordinaire les dignités sont entre les mains des méchants, il est évident aussi que par elles-mêmes elles ne sont pas des biens, puisqu'elles peuvent se combiner avec ce qu'il y a de pire. Il faut conclure de même et à plus forte raison à l'égard de tous les dons de la Fortune, puisque c'est sur les plus malhonnêtes gens qu'ils se répandent avec le plus de profusion. Et à ce sujet, voyez encore : personne ne doute du courage de l'homme qui a fait publiquement preuve de bravoure, et celui qui s'est distingué à la course passe sans conteste pour un bon coureur. Par la même raison, la musique fait les musiciens, la médecine les médecins, la rhétorique les rhéteurs. Toute cause agit conformément à sa nature, et, loin de confondre ses effets avec ceux des causes contraires, élimine par sa
propre énergie tout ce qui lui est antipathique. Or, ni les richesses ne peuvent assouvir l'insatiabilité de l'avarice,
ni la puissance assurer la possession de soi-même à l'homme que de honteuses passions retiennent dans des liens indissolubles;
j'ajoute que les honneurs conférés aux pervers, non-seulement ne font pas qu'ils en soient dignes, mais trahissent plutôt et font éclater au grand jour leur indignité. Pourquoi cela ? C'est qu'on se plaît à donner abusivement aux
choses des noms qui ne leur conviennent nullement et que la réalité dément bientôt. C'est ainsi que ni ces richesses, ni cette puissance, ni ces dignités, ne méritent leurs noms. En résumé, on peut en dire autant de tous les biens de la fortune, puisqu'il est manifeste qu'ils n'ont rien de désirable, rien de bon naturellement; qu'ils n'échoient pas toujours aux honnêtes gens, et qu'ils ne rendent pas meilleurs ceux qui les possèdent.
On le connaît le César assassin qui, bourreau du Sénat romain, Brûla la ville, empoisonna son frère, Et sans pâlir, dans le sang de sa mère Trempa sa parricide main. Elle était là , nue, un poignard au flanc Lui, d'un air calme et nonchalant La contemplait, et, l'oeil vide de larmes, en connaisseur il critiquait les charmes De ce corps livide et sanglant. Eh bien ! ce monstre, effroi de l'univers, régnait sur les peuples divers que le soleil éclaire dans sa course ; On l'adorait des champs glacés de l'Ourse Aux sables brûlants des déserts. A ces hauteurs, est-ce que la raison Calma la rage de Néron
? Malheur à vous, ô peuples qu'on opprime, lorsque le fer aiguisé par le crime Achève l'oeuvre du poison
!
André Breton 1 et 2 Extraits de philosophes
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