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Gottfried Wilhelm Leibniz

Essais de Théodicée

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Leibniz, Philosophe allemand mais également scientifique diplomate, philologue et mathématicienIl y a deux labyrinthes fameux où notre raison s'égare bien souvent: l'un regarde la grande question du libre et du nécessaire, surtout dans la production et dans l'origine du mal ; l'autre consiste dans la discussion de la continuité et des indivisibles qui en paraissent les éléments, et où doit entrer la considération de l'infini. Le premier embarrasse presque tout le genre humain, l'autre n'exerce que les philosophes. J'aurai peut-être une autre fois l'occasion de m'expliquer sur le second, et de faire remarquer que faute de bien concevoir la nature de la substance et de la matière, on a fait de fausses positions qui mènent à des difficultés insurmontables, dont le véritable usage devrait être le renversement de ces positions mêmes. Mais si la connaissance de la continuité est importante pour la spéculation, celle de la nécessité ne l'est pas moins pour la pratique; et ce sera l'objet de ce traité, avec les points qui y sont liés, savoir la liberté de l'homme et la justice de dieu.

Les hommes presque de tout temps ont été troublés par un sophisme que les anciens appelaient la raison paresseuse, parce qu'il allait à ne rien faire, ou du moins à n'avoir soin de rien, et à ne suivre que le penchant des plaisirs présents. Car, disait-on, si l'avenir est nécessaire, ce qui doit arriver arrivera quoi que je puisse faire. Or l'avenir, disait-on, est nécessaire, soit parce que la divinité prévoit tout, et le préétablit même, en gouvernant toutes les choses de l'univers; soit parce que tout arrive nécessairement par l'enchaînement des causes; soit enfin par la nature même de la vérité qui est déterminée dans les énonciations qu'on peut former sur les événements futurs, comme elle l'est dans toutes les autres énonciations, puisque l'énonciation doit toujours être vraie ou fausse en elle-même, quoique nous ne connaissions pas toujours ce qui en est. Et toutes ces raisons de détermination qui paraissent différentes, concourent enfin comme des lignes à un même centre: car il y a une vérité dans l'événement futur, qui est prédéterminé par les causes, et Dieu la préétablit en établissant les causes.
L'idée mal entendue de la nécessité, étant employée dans la pratique, a fait naître ce que j'appelle fatum mahumetanum a, le destin à la turque; parce qu'on impute aux Turcs de ne pas éviter les dangers, et de ne pas même quitter les lieux infectés de la peste, sur des raisonnements semblables à ceux qu'on vient de rapporter. Car ce qu'on appelle fatum stoicum n'était pas si noir qu'on le fait: il ne détournait pas les hommes du soin de leurs affaires; mais il tendait à leur donner la tranquillité à l'égard des événements, par la considération de la nécessité qui rend nos soucis et nos chagrins inutiles: en quoi ces philosophes ne s'éloignaient pas entièrement de la doctrine de notre Seigneur, qui dissuade ces soucis par rapport au lendemain, en les comparant avec les peines inutiles que se donnerait un homme qui travaillerait à agrandir sa taille.

Il est vrai que les enseignements des stoïciens (et peut-être aussi de quelques philosophes célèbres de notre temps) se bornant à cette nécessité prétendue, ne peuvent donner qu'une patience forcée; au lieu que notre Seigneur inspire des pensées plus sublimes, et nous apprend même le moyen d'avoir du contentement, lorsqu'il nous assure que Dieu, parfaitement bon et sage, ayant soin de tout, jusqu'à ne point négliger un cheveu de notre tête, notre confiance en lui doit être entière de sorte que nous verrions, si nous étions capables de le comprendre, qu'il n'y a pas même moyen de souhaiter rien de meilleur (tant absolument que pour nous) que ce qu'il fait. C'est comme si l'on disait aux hommes faites votre devoir, et soyez contents de ce qui en arrivera, non seulement parce que vous ne sauriez résister à la providence divine ou à la nature des choses, (ce qui peut suffire pour être tranquille et non pas pour être content) mais encore parce que vous avez affaire à un bon maître. Et c'est ce qu'on peut appeler fatum christianum.

Cependant il se trouve que la plupart des hommes, et même des chrétiens, font entrer dans leur pratique quelque mélange du destin à la turque, quoiqu'ils ne le reconnaissent pas assez. Il est vrai qu'ils ne sont pas dans l'inaction et dans la négligence, quand des périls évidents, ou des espérances manifestes et grandes se présentent; car ils ne manqueront pas de sortir d'une maison qui va tomber, et de se détourner d'un précipice qu'ils voient dans leur chemin; et ils fouilleront dans la terre pour déterrer un trésor découvert à demi, sans attendre que le destin achève de le faire sortir. Mais quand le bien ou le mal est éloigné, et douteux, et le remède pénible, ou peu à notre goût, la raison paresseuse nous paraît bonne: par exemple, quand il s'agit de conserver sa santé et même sa vie par un bon régime, les gens à qui on donne conseil là-dessus, répondent bien souvent que nos jours sont comptés, et qu'il ne sert de rien de vouloir lutter contre ce que Dieu nous destine. Mais ces mêmes personnes courent aux remèdes même les plus ridicules, quand le mal qu'ils avaient négligé approche. On raisonne à peu près de la même façon, quand la délibération est un peu épineuse, comme par exemple lorsqu'on se demande, quod vitae sectabor item? quelle profession on doit choisir; quand il s'agit d'un mariage qui se traite, d'une guerre qu'on doit entre prendre, d'une bataille qui se doit donner; car en ces cas plusieurs seront portés à éviter la peine de la discussion et à s'abandonner au sort, ou au penchant comme si la raison ne devait être employée que dans les cas faciles. On raisonnera alors à la turque bien souvent (quoiqu'on appelle cela mal à propos se remettre à la Providence, ce qui a lieu proprement, quand on a satisfait à son devoir) et on emploiera la raison paresseuse, tirée du destin irrésistible, pour s'exempter de raisonner comme il faut; sans considérer que si ce raisonnement contre l'usage de la raison était bon, il aurait toujours lieu, soit que la délibération fût facile ou non. C'est cette paresse qui est en partie la source des pratiques superstitieuses des devins, où les hommes donnent aussi facilement que dans la pierre philosophale, parce qu'ils voudraient des chemins abrégés, pour aller au bonheur sans peine.
Je ne parle pas ici de ceux qui s'abandonnent à la fortune, parce qu'ils ont été heureux auparavant, comme s'il y avait là-dedans quelque chose de fixe. Leur raisonnement du passé à l'avenir est aussi peu fondé que les principes de l'astrologie et des autres divinations; et ils ne considèrent pas qu'il y a ordinairement un flux et reflux dans la fortune, una marea, comme les Italiens jouant à la bassette ont coutume de l'appeler, et ils y font des observations particulières, auxquelles je ne conseillerais pourtant à personne de se trop fier. Cependant cette confiance qu'on a en sa fortune sert souvent à donner du courage aux hommes, et surtout aux soldats, et leur fait avoir effectivement cette bonne fortune qu'ils s'attribuent, comme les prédictions font souvent arriver ce qui a été prédit, et comme l'on dit que l'opinion que les mahométans ont du destin les rend déterminés. Ainsi les erreurs mêmes ont leur utilité quelquefois; mais c'est ordinairement pour remédier à d'autres erreurs, et la vérité vaut mieux absolument.


Mais on abuse surtout de cette prétendue nécessité du destin, lorsqu'on s'en sert pour excuser nos vices et notre libertinage. J'ai souvent ouï dire à des jeunes gens éveillés, qui voulaient faire un peu les esprits forts, qu'il est inutile de prêcher la vertu, de blâmer le vice, de faire espérer des récompenses et de faire craindre des châtiments, puisqu'on peut dire du livre des destinées, que ce qui est écrit, est écrit, et que notre conduite n'y saurait rien changer; et qu'ainsi le meilleur est de suivre son penchant, et de ne s'arrêter qu'à ce qui peut nous contenter présentement. Ils ne faisaient point réflexion sur les conséquences étranges de cet argument, qui prouverait trop, puisqu'il prouverait (par exemple) qu'on doit prendre un breuvage agréable, quand on saurait qu'il est empoisonné. Car par la même raison (si elle était valable) je pourrais dire: s'il est écrit dans les archives des Parques que le poison me tuera à présent, ou me fera du mal, cela arrivera, quand je ne prendrais point ce breuvage; et si cela n'est point écrit, il n'arrivera point, quand même je prendrais ce même breuvage; et par conséquent je pourrai suivre impunément mon penchant à prendre ce qui est agréable, quelque pernicieux qu'il soit: ce qui renferme une absurdité manifeste. Cette objection les arrêtait un peu, mais ils revenaient toujours à leur raisonnement, tourné en différentes manières, jusqu'à ce qu'on leur fît comprendre en quoi consiste le défaut du sophisme. C'est qu'il est faux que l'événement arrive quoi qu'on fasse; il arrivera, parce qu'on fait ce qui y mène; et si l'événement est écrit, la cause qui le fera arriver est écrite aussi. Ainsi la liaison des effets et des causes, bien loin d'établir la doctrine d'une nécessité préjudiciable à la pratique, sert à la détruire.

Mais sans avoir des intentions mauvaises et portées au libertinage, on peut envisager autrement les étranges suites d'une nécessité fatale; en considérant qu'elle détruirait la liberté de l'arbitre, si essentielle à la moralité de l'action; puisque la justice et l'injustice, la louange et le blâme, la peine et la récompense ne sauraient avoir lieu par rapport aux actions nécessaires, et que personne ne pourra être obligé à faire l'impossible ou à ne point faire ce qui est nécessaire absolument. On n'aura pas l'intention d'abuser de cette réflexion pour favoriser le dérèglement, mais on ne laissera pas de se trouver embarrassé quelquefois quand il s'agira de juger des actions d'autrui, ou plutôt de répondre aux objections, parmi lesquelles il y en a qui regardent même les actions de Dieu, dont je parlerai tantôt. Et comme une nécessité insurmontable ouvrirait la porte à l'impiété, soit par l'impunité qu'on en pourrait inférer, soit par l'inutilité qu'il y aurait de vouloir résister à un torrent qui entraîne tout, il est important de marquer les différents degrés de la nécessité, et de faire voir qu'il y en a qui ne sauraient nuire, comme il y en a d'autres qui ne sauraient être admis sans donner lieu à de mauvaises conséquences.
Quelques-uns vont encore plus loin: ne se contentant pas de se servir du prétexte de la nécessité pour prouver que la vertu et le vice ne font ni bien ni mal, ils ont la hardiesse de faire la divinité complice de leurs désordres, et ils imitent les anciens païens, qui attribuaient aux dieux la cause de leurs crimes, comme si une divinité les poussait à mal faire. La philosophie des chrétiens, qui reconnaît mieux que celle des anciens la dépendance des choses du premier auteur, et son concours avec toutes les actions des créatures, a paru augmenter cet embarras.

Quelques habiles gens de notre temps en sont venus jusqu'à ôter toute action aux créatures; et M. Bayle, qui donnait un peu dans ce sentiment extraordinaire, s'en est servi pour relever le dogme tombé des deux principes, ou de deux dieux, l'un bon, l'autre mauvais, comme si ce dogme satisfaisait mieux aux difficultés sur l'origine du mal; quoique, d'ailleurs, il reconnaisse que c'est un sentiment insoutenable, et que l'unité du principe est fondée incontestablement en raisons à priori; mais il en veut inférer que notre raison se confond et ne saurait satisfaire aux objections, et qu'on ne doit pas laisser pour cela de se tenir ferme aux dogmes révélés, qui nous enseignent l'existence d'un seul Dieu, parfaitement bon, parfaitement puissant et parfaitement sage. Mais beaucoup de lecteurs qui seraient persuadés de l'insolubilité de ces objections, et qui les croiraient pour le moins aussi fortes que les preuves de la vérité de la religion, en tireraient des conséquences pernicieuses.
Quand il n'y aurait point de concours de Dieu aux mauvaises actions, on ne laisserait pas de trouver de la difficulté en ce qu'il les prévoit et qu'il les permet, les pouvant empêcher par sa toute-puissance. C'est ce qui fait que quelques philosophes, et même quelques théologiens, ont mieux aimé lui refuser la connaissance du détail des choses, et surtout des événements futurs, que d'accorder ce qu'ils croyaient choquer sa bonté. Les sociniens et Conrad Vorstius penchent de ce côté-là; et Thomas Bonartes, jésuite anglais pseudonyme, mais fort savant, qui a écrit un livre de concordia scientiae cum fide, dont je parlerai plus bas, paraît l'insinuer aussi.

Ils ont grand tort sans doute; mais d'autres n'en ont pas moins, qui, persuadés que rien ne se fait sans la volonté et sans la puissance de Dieu, lui attribuent des intentions et des actions si indignes du plus grand et du meilleur de tous les êtres, qu'on dirait que ces auteurs ont renoncé en effet au dogme qui reconnaît la justice et la bonté de Dieu. Ils ont cru qu'étant souverain maître de l'univers, il pourrait, sans aucun préjudice de sa sainteté, faire commettre des péchés, seulement parce que cela lui plaît, ou pour avoir le plaisir de punir; et même qu'il pourrait prendre plaisir à affliger éternellement des innocents, sans faire aucune injustice, parce que personne n'a droit ou pouvoir de contrôler ses actions. Quelques-uns même sont allés jusqu'à dire que Dieu en use effectivement ainsi; et sous prétexte que nous sommes comme un rien par rapport à lui, ils nous comparent avec les vers de terre, que les hommes ne se soucient point d'écraser en marchant, ou en général avec les animaux qui ne sont pas de notre espèce, que nous ne nous faisons aucun scrupule de maltraiter.
Je crois que plusieurs personnes, d'ailleurs bien intentionnées, donnent dans ces pensées, parce qu'ils n'en connaissent pas assez les suites. Ils ne voient pas que c'est proprement détruire la justice de Dieu; car quelle notion assignerons- nous à une telle espèce de justice, qui n'a que la volonté pour règle: c'est-à-dire où la volonté n'est pas dirigée par les règles du bien, et se porte même directement au mal; à moins que ce ne soit la notion contenue dans cette définition tyrannique de Thrasymaque chez Platon, qui disait que juste n'est autre chose que ce qui plaît au plus puissant ? A quoi reviennent, sans y penser, ceux qui fondent toute l'obligation sur la contrainte, et prennent par conséquent la puissance pour la mesure du droit. Mais on abandonnera bientôt des maximes si étranges, et si peu propres à rendre les hommes bons et charitables par l'imitation de Dieu, lorsqu'on aura bien considéré qu'un Dieu qui se plairait au mal d'autrui ne saurait être distingué du mauvais principe des manichéens, supposé que ce principe fût devenu seul maître de l'univers; et que, par conséquent, il faut attribuer au vrai Dieu des sentiments qui le rendent digne d'être appelé le bon principe.
Par bonheur ces dogmes outrés ne subsistent presque plus parmi les théologiens; cependant quelques personnes d'esprit, qui se plaisent à faire des difficultés, les font revivre: ils cherchent à augmenter notre embarras en joignant les controverses que la théologie chrétienne fait naître aux contestations de la philosophie. Les philosophes ont considéré les questions de la nécessité, de la liberté et de l'origine du mal; les théologiens y ont joint celles du péché originel, de la grâce et de la prédestination. La corruption originelle du genre humain, venue du premier péché, nous paraît avoir imposé une nécessité naturelle de pécher, sans le secours de la grâce divine; mais la nécessité étant incompatible avec la punition, on en inférera qu'une grâce suffisante devrait avoir été donnée à tous les hommes; ce qui ne paraît pas trop conforme à l'expérience.

Mais la difficulté est grande, surtout par rapport à la destination de Dieu sur le salut des hommes. Il y en a peu de sauvés ou d'élus; Dieu n'a donc pas la volonté décrétoire d'en élire beaucoup. Et puisqu'on avoue que ceux qu'il a choisis ne le méritent pas plus que les autres, et ne sont pas même moins mauvais dans le fond, ce qu'ils ont de bon ne venant que du don de Dieu, la difficulté en est augmentée. Où est donc sa justice (dira-t-on) ou du moins, où est sa bonté ? La partialité ou l'acception des personnes va contre la justice; et celui qui borne sa bonté sans sujet n'en doit pas avoir assez. Il est vrai que ceux qui ne sont point élus sont perdus par leur propre faute, ils manquent de bonne volonté ou de la foi vive; mais il ne tenait qu'à Dieu de la leur donner. L'on sait que, outre la grâce interne, ce sont ordinairement les occasions externes qui distinguent les hommes, et que l'éducation, la conversation, l'exemple corrigent souvent ou corrompent le naturel. Or Dieu faisant naître des circonstances favorables aux uns, et abandonnant les autres à des rencontres qui contribuent à leur malheur, n'aura-t-on pas sujet d'en être étonné? Et il ne suffit pas (ce semble) de dire avec quelques-uns que la grâce interne est universelle et égale pour tous, puisque ces mêmes auteurs sont obligés de recourir aux exclamations de saint Paul, et de dire, O profondeur! quand ils considèrent combien les hommes sont distingués par les grâces externes, pour ainsi dire, c'est-à-dire qui paraissent dans la diversité des circonstances que Dieu fait naître, dont les hommes ne sont point les maîtres, et qui ont pourtant une si grande influence sur ce qui se rapporte à leur salut.

On ne sera pas plus avancé pour dire avec saint Augustin, que les hommes étant tous compris sous la damnation par le péché d'Adam, Dieu les pouvait tous laisser dans leur misère, et qu'ainsi c'est par une pure bonté qu'il en retire quelques-uns. Car outre qu'il est étrange que le péché d'autrui doive damner quelqu'un, la question demeure toujours, pourquoi Dieu ne les retire pas tous, pourquoi il en retire la moindre partie, et pourquoi les uns préférablement aux autres. Il est leur maître, il est vrai, mais il est un maître bon et juste; son pouvoir est absolu, mais sa sagesse ne permet pas qu'il l'exerce d'une manière arbitraire et despotique, qui serait tyrannique en effet.
De plus, la chute du premier homme n'étant arrivée qu'avec permission de Dieu, et Dieu n'ayant résolu de la permettre qu'après en avoir envisagé les suites, qui sont la corruption de la masse du genre humain et le choix d'un petit nombre d'élus, avec l'abandon de tous les autres; il est inutile de dissimuler la difficulté, en se bornant à la masse déjà corrompue: puisqu'il faut remonter, malgré qu'on en ait, à la connaissance des suites du premier péché, antérieure au décret par lequel Dieu l'a permis, et par lequel il a permis en même temps que les réprouvés seraient enveloppés dans la masse de perdition, et n'en seraient point retirés; car Dieu et le sage ne résolvent rien, sans en considérer les conséquences.

On espère de lever toutes ces difficultés. On fera voir que la nécessité absolue, qu'on appelle aussi logique et métaphysique, et quelquefois géométrique, et qui serait seule à craindre, ne se trouve point dans les actions libres; et qu'ainsi la liberté est exempte, non seulement de la contrainte, mais encore de la vraie nécessité. On fera voir que Dieu même, quoiqu'il choisisse toujours le meilleur, n'agit point par une nécessité absolue; et que les lois de la nature que Dieu lui a prescrites, fondées sur la convenance, tiennent le milieu entre les vérités géométriques, absolument nécessaires, et les décrets arbitraires: ce que M. Bayle et d'autres nouveaux philosophes n'ont pas assez compris. On fera voir aussi qu'il y a une indifférence dans la liberté, parce qu'il n'y a point de nécessité absolue pour l'un ou pour l'autre parti; mais qu'il n'y a pourtant jamais une indifférence de parfait équilibre. L'on montrera aussi qu'il y a dans les actions libres une parfaite spontanéité, au-delà de tout ce qu'on en a conçu jusqu'ici. Enfin l'on fera juger que la nécessité hypothétique et la nécessité morale qui restent dans les actions libres n'ont point d'inconvénient, et que la raison paresseuse est un vrai sophisme.
Et quant à l'origine du mal, par rapport à Dieu, on fait une apologie de ses perfections, qui ne relève pas moins sa sainteté, sa justice et sa bonté, que sa grandeur, sa puissance et son indépendance. L'on fait voir comment il est possible que tout dépende de lui, qu'il concoure à toutes les actions des créatures, qu'il crée même continuellement les créatures, si vous le voulez, et que néanmoins il ne soit point l'auteur du péché. Où l'on montre aussi comment on doit concevoir la nature privative du mal. On fait bien plus; on montre comment le mal a une autre source que la volonté de Dieu, et qu'on a raison pour cela de dire du mal de coulpe, que Dieu ne le veut point et qu'il le permet seulement. Mais ce qui est le plus important, l'on montre que Dieu a pu permettre le péché et la misère, et y concourir même et y contribuer, sans préjudice de sa sainteté et de sa bonté suprêmes: quoique absolument parlant, il aurait pu éviter tous ces maux.



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Leibniz, philosophe allemand de l'époque moderne

1646 : naissance à Leipzig en Allemagne. - 1661-1664 : à quinze ans, il connaît les langues anciennes, les littératures grecque et latine et la scolastique et lit les auteurs modernes, notamment Descartes qui l'influencera beaucoup. Il poursuit ses études à Iéna (mathématiques), Altdorf (jurisprudence), Nuremberg (chimie), puis rentre à Leipzig étudier le droit. - 1665 : la faculté de droit lui refuse le grade de docteur en raison de son jeune âge. - 1667 : il rencontre le baron von Boyneburg qui le fait entrer dans la pratique politique. - 1670 : il écrit un texte sur la sécurité de l'Allemagne et devient conseiller à la cour suprême de l'électorat de Mayence. - 1672 : envoyé en mission diplomatique auprès de Louis XIV (il est chargé de le convaincre de conquérir l'Égypte), il séjournera quatre ans à Paris. Il est au centre d'un réseau d'échanges et de correspondances entre les savants de toute l'Europe. - 1673 : il effectue un voyage en Angleterre et rencontre Oldenburg, le secrétaire de la Royal Society, avec lequel il s'entretient de mathématiques. Il est élu à la Royal Society. Ses travaux sur le calcul infinitésimal l'amènent à élaborer une théorie analogue à celle de Newton. - 1676 : privé de sa protection allemande par la mort de Boyneburg et ne pouvant se fixer à Paris où Colbert lui a refusé une pension d'ingénieur, il devient bibliothécaire du duc de Brunswick-Lünebourg, à Hanovre. Il écrit alors la plupart de ses ouvrages philosophiques tout en s'occupant de politique (il soutient les droits des princes allemands dans l'Empire, publie un recueil du Droit des gens). Il voyage à travers l'Europe, rencontre les plus grands savants. - 1680 : il commence la généalogie de la maison de Brünswick. - 1699 : il est admis à l'Académie des sciences de Paris. - 1700 : il fonde une Société des sciences, future Académie de Berlin, et propose à Pierre le Grand une société semblable avec un plan d'organisation culturelle. - 1712 : le tsar Pierre le Grand le nomme « conseiller intime de justice ». - 1714 : l'électeur de Hanovre monte sur le trône d'Angleterre devenant George Ier. Leibniz attendra vainement des princes qu'il servit naguère une nomination d'historien de la Cour ou un appui dans sa querelle avec Newton. - 1716 : il meurt dans une totale solitude. Seule l'Académie de Paris lui rend hommage (éloge de Fontenelle en 1717).