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  • textes philo

Karl Marx Le capital

Préface à la première édition

Portrait de Karl MarxAvec la révolution allemande de novembre 1918, l'ère du socialisme a commencé. Socialisme et socialisation sont les mots du jour. Mais que signifie le socialisme ?

Non seulement pour l'homme cultivé, mais pour tout le monde, il est devenu aujourd'hui urgent et nécessaire d'en connaître les doctrines fondamentales.

Le fondateur du socialisme scientifique est Karl Marx (né en 1818, à Trèves; mort en 1883, à Londres). Son œuvre essentielle Le Capital rassemble les doctrines fondamentales du socialisme. Connaître ce livre est donc le devoir strict de quiconque veut comprendre ou, à plus forte raison, influencer l'évolution de notre temps.

Devoir, cependant, qui n'est pas des plus faciles à remplir. Celui qui veut lire Le Capital se heurte à une foule de difficultés. Oui, on peut le dire, pour le profane il est absolument illisible. Or la plupart des hommes sont nécessairement des profanes.

Il y a d'abord l'immensité de l'ouvrage. Les trois volumes qui le constituent ne comptent pas moins de 2.200 grandes pages imprimées. Qui peut lire ces 2.200 pages, à moins de vouloir en faire un objet d'étude spéciale et de délaisser toute occupation professionnelle ? A cela s'ajoute un mode d'expression particulièrement difficile à suivre. Ce zèle excessif qui voudrait montrer sous un jour favorable tous les côtés d'un grand homme a fait dire que Marx, écrivain, avait un style clair, direct et facile. Cela n'est même pas juste pour ses plus petits écrits, rédigés pour des journaux. Mais l'affirmer de ses ouvrages d'économie, c'est tout simplement dire une contre-vérité. Pour comprendre son mode d'expression, il faut un effort de pénétration en profondeur, une grande tension de l'esprit, un contact plein d'amour avec l’œuvre, et condition également indispensable, de vastes connaissances spéciales dans le domaine de l'économie politique. La raison de cette difficulté est fort aisée à reconnaître. L’œuvre de Marx représente un immense travail de pensée. Tout lui était familier de ce que la science économique avait réalisé avant lui, et il en a énormément accru les matériaux par ses recherches personnelles ; tous les problèmes de l'économie, il les a repensés, et ce sont justement les plus difficiles d'entre eux auxquels il a donné des solutions nouvelles. Tout son esprit, toute son énergie se trouvaient à tel point absorbés par le contenu qu'il n'accordait pas d'importance à la forme. A côté de l'abondance des pensées qui ne cessaient de l'occuper, l'expression lui paraissait indifférente. De même, il n'avait sans doute plus le sentiment que quantité des choses qui lui étaient familières et lui paraissaient évidentes pouvaient receler les plus grandes difficultés pour les autres, pour ceux qui ne possèdent point d'aussi grandes connaissances. D'autant plus qu'il n'aura guère songé, sans doute, à écrire pour des profanes. C'est une Å“uvre de spécialiste, une Å“uvre de science qu'il voulait donner.

Quoi qu'il en soit, il reste que la difficulté de l'expression ne peut être surmontée qu'en y employant une somme de temps et de travail dont le profane ne saurait, par définition, disposer.

A quoi s'ajoute encore une troisième difficulté, la plus importante. L’œuvre de Marx, de la première à la dernière ligne, est d'une seule venue; les différentes parties de sa doctrine dépendent si étroitement les unes des autres qu'aucune d'entre elles ne saurait être bien comprise sans la connaissance des autres. Quiconque entreprend la lecture des premiers chapitres ne peut naturellement savoir ce que contiennent les chapitres ultérieurs et doit donc nécessairement acquérir une image fausse de la doctrine tant qu'il n'a pas étudié les trois volumes jusqu'à la fin.

Cette difficulté est encore accrue du fait que Marx n'a pas pu terminer son œuvre. Il n'a définitivement rédigé que le premier volume du Capital, paru en 1867. Les deux autres tomes n'ont été publiés qu'après sa mort, par son ami Friedrich Engels. Or, ces deux derniers volumes étaient loin d'être prêts pour l'impression, de sorte que Engels a souvent inséré dans le texte les esquisses où Marx jetait, une première fois, ses idées sur le papier. Il en résulte d'innombrables répétitions. Le lecteur non prévenu -- et le profane ne saurait l'être -- voit avec surprise la même pensée reparaître sans cesse, sous de nombreux termes, dix fois, quinze fois et davantage encore, sans qu'il en perçoive la raison. Cela explique que les savants eux-mêmes se contentent d'ordinaire de lire le premier volume, et qu'ils sont amenés à mal comprendre ce que Marx a voulu dire. Il en va de même, bien plus encore, pour le profane, pour l'ouvrier, par exemple, qui après avoir dépensé un effort peut-être considérable, dans ses heures de loisir, pour lire jusqu'au bout le premier volume, évitera prudemment la lecture du second et du troisième.

Toutes ces raisons m'avaient, dès avant la guerre, amené à penser qu'il était urgent de rendre lisible Le Capital pour la masse de ceux qui aspirent à en connaître le contenu sans être à même, pour ainsi dire, d'y sacrifier une partie de leur travail et de leur vie. Il ne s'agit pas, bien entendu, de populariser la doctrine de Marx, de procéder à l'une de ces vulgarisations qui consistent à ce qu'un autre expose librement, en essayant de le rendre compréhensible, ce que Marx lui-même enseigne. De tels travaux existent en suffisance. (Souvent, d'ailleurs, ils souffrent du fait que leur auteur n'a lui-même lu que le premier volume, ne considérant pas les deux autres comme essentiels.) Mais il s'agit au contraire de laisser Marx parler lui-même, de présenter son propre ouvrage, ses propres paroles, de manière à ce que tout le monde, avec un peu de temps et de peine, soit en mesure de les comprendre.

Telle était la tâche que je me représentais en esprit depuis des années. La guerre et ses loisirs obligatoires m'en ont accordé le temps nécessaire. J'en présente le résultat au publie et dois encore exposer pour quelles raisons je me suis considéré comme capable d'un tel travail, et de quelle façon j'ai procédé.


* * *


Si j'estime nécessaire de dire quelques mots de ma compétence pour le présent travail, cela vient de la situation politique telle qu'elle s'est constituée en Allemagne depuis la guerre mondiale. Je prévois que les milieux auxquels mon activité politique n'a pas le don de plaire seront tentés de m'accuser d'ignorance, de déclarer que je n'ai jamais rien compris à Marx et ne suis donc pas en droit d'entreprendre pareille tâche. C'est ce genre d'argumentation que je désire écarter de prime abord. J'exposerai donc brièvement ce qui suit.

En 1909, j'ai fait paraître un petit ouvrage sur Les Notions fondamentales de la science économique (Die Grundbegriffe der Wirtschaftslehre), contenant une vulgarisation de la théorie marxiste de la valeur et de la plus-value. Le Hamburger Echo, qui est violemment opposé à la tendance que je représente, mais que les mêmes personnes rédigent encore aujourd'hui, écrivait, le 7 février 1909, à propos de cet opuscule :

« C'est avec raison qu'on a appelé la traduction dans une autre langue un art, spécialement en ce qui concerne les oeuvres des poètes, et cet art est loin d'être aussi simple que beaucoup l'imaginent lorsqu'il s'agit de ne rien laisser perdre, dans le texte traduit, de l'esprit, du parfum, de la couleur et de l'atmosphère de l'original. Une traduction littérale reste loin de compte ; tout au contraire, il faut souvent s'écarter des moyens d'expression de l'original lui-même et en choisir qui soient propres à produire le même effet dans l'autre langue. La loi formulée par Lessing, dans son Laocon, pour divers arts, trouve également ici son application. A titre d'exemples, contentons-nous de citer la traduction d'Homère due à Voss et celle du Don Juan de Byron, par Otto Gildemeister. L'une et l'autre sont moins correctes et moins fidèles, quant à la lettre, que toutes les autres, et cependant, rata pneumata (en esprit) elles sont infiniment plus fidèles, car elles respirent et reflètent l'essence et le caractère de l'original.

« De même, la vulgarisation des ouvrages scientifiques est aussi un art. Là également, beaucoup se sentent appelés, mais il y a peu d'élus. Il ne suffit pas d'extraire les idées et de les servir en abrégé. Presque toujours, il faut soumettre toute la matière à une véritable refonte et, pour la présentation, la disposition et le classement, adopter une démarche originale.

« science et érudition ne sont pas identiques.

« Les ouvrages scientifiques originaux sont souvent encombrés d'érudition. La théorie, loin d'apparaître comme un tout achevé, conforme à un ordre systématique, y est quelque chose en devenir; l'auteur la développe génétiquement à la fois et dialectiquement, selon des points de vue particuliers, et souvent même à la façon d'une polémique dirigée contre les théories adverses. Or, tout ce travail accessoire, fort savant, mais passible d'égarer facilement le profane, peut et doit être écarté si l'on veut que le résultat proprement scientifique se trouve exposé dans sa pureté, avec une conséquence rigoureusement logique, et soit aisément accessible à tous. Ce qui doit paraître, c'est uniquement le produit et non point la savante démarche du travail, ce qui, naturellement, n'exclut en rien le sérieux de l'exposé. Et si quelques parties du travail accessoire se trouvent présenter un intérêt, il convient de ne les donner que sous forme de compléments spéciaux.

« Le travail de vulgarisation doit en premier lieu se borner à l'essentiel, aux idées principales, et ne pas se surcharger de trop de matière, ce qui outrepasserait le pouvoir d'assimilation de la masse.

« Il n'est pas moins important d'illustrer les abstractions au moyen d'exemples concrets, de cas tangibles empruntés à la vie. Beaucoup ont peine à penser par concepts des objets difficiles et complexes ; les éléments conceptuels une fois analysés ⎯ ce que l'on ne saurait omettre, d'ailleurs ⎯ puis rendus clairs au moyen d'illustrations intuitives, ce qui est abstrait cesse de rester pâle et décoloré, mais entre dans les cerveaux avec une précision toute plastique. La ténacité de la croyance en Dieu a, tout au moins pour une large part, son explication dans le fait que la moyenne des esprits tend à personnifier les idées abstraites.

« Si la matière à exposer est, en outre, illustrée par des comparaisons tirées d'autres domaines, cela n'en vaut que mieux. Et un peu d'esprit semé çà et là, anime le tout et le rend attrayant.

« Toutes choses qui s'appliquent également aux causeries populaires.

« Nous sommes heureux de pouvoir écrire que l'ouvrage de Julian BORCHARDT vulgarise excellemment les idées centrales de l'économie marxiste, et cela, en général, tout à fait dans le sens de ce qu'on vient de lire. Quelle concision, quelle simplicité et quelle clarté dans la façon dont, par exemple, la première page résume la pointe même de la théorie de la plus-value : « Le capital achète la force de travail et paye, à cet effet, le salaire. En travaillant, l'ouvrier crée une valeur nouvelle qui ne lui appartient pas, mais au capitaliste. Il lui faut travailler un certain temps pour restituer la seule valeur du salaire. Mais cela fait, il ne s'arrête pas, il continue, au contraire, à travailler pendant quelques heures de la journée. La valeur nouvelle qu'il produit alors et qui, par conséquent, dépasse le montant du salaire, est la plus-value. » - Des données plus détaillées sur la valeur et le travail, de même que sur le profit du capital, ne sont pas moins clairement exposées à part dans les deux derniers des six chapitres de l'ouvrage, harmonieusement répartis en subdivisions.

« Sans que l'exposition s'en trouve alourdie, l'évolution historique a été mêlée à la coopération et à la division du travail, dans la mesure où elle peut servir à une meilleure compréhension de la production capitaliste.

« Et ainsi de suite.

« Comme l'auteur le dit dans sa préface, il n'a pas voulu présenter un système clos de science économique, mais uniquement la démarche de pensée qui est à la base du Capital de Marx, premier volume. Il y a parfaitement réussi et nous n'hésitons pas à recommander vivement ce petit livre, comme introduction à l'économie marxiste, à tous ceux qui n'ont pas encore une exacte connaissance de cette dernière. »

Voilà sans doute qui suffira à trancher définitivement la question de ma compétence pour le présent travail. J'ajouterai simplement qu'il y a maintenant 30 années en chiffres ronds que j'ai commencé à m'occuper professionnellement, et de la façon la plus intensive, du Capital de Marx et qu'il y aura bientôt 20 ans qu'à la demande de l'Institut des sciences sociales de Bruxelles, j'ai traduit en français (en collaboration avec le camarade belge Vanderrydt) les second et troisième volumes du Capital.

(...)

Préface à la troisième édition

Un an et neuf mois se sont écoulés depuis la publication de cette édition populaire du Capital de Marx. Pendant cette période, la vente du livre a été interrompue au moins six mois -- en partie pour des raisons générales, d'ordre politique et économique, comme le coup d'état de Kapp, des dépressions économiques, etc., en raison aussi d'un retard dans l'impression de la deuxième édition. Il est donc permis de dire que 10.000 exemplaires ont été mis en circulation dans un intervalle de 15 mois seulement, et pourtant l'intérêt suscité par le livre est tel qu'une troisième édition apparaît comme nécessaire.

S'il faut être sincère, je dirai que ce succès ne me surprend en aucune façon. Je n'ai été que trop profondément convaincu pendant de longues années, de la nécessité d'un tel livre. Bien plus, je ne doute pas que le succès se fût encore prononcé beaucoup plus vite sans les obstacles créés par ces questions d'argent, si funestes dans notre âge capitaliste. La publicité, de nos jours, est démesurément coûteuse et les quelques personnes qui, jusqu'à présent, m'ont aidé dans la publication du livre, ne sont ni les unes ni les autres comblées par la fortune.

naturellement, je n'ai pas l'immodestie d'attribuer le grand succès du livre à mon seul travail. Connaître les doctrines de Marx est en effet devenu, aujourd'hui, une nécessité absolue pour des centaines de milliers d'esprits éveillés. Ils ont soif d'entendre son message : la lecture, pour eux, est une manne.

Toutefois, je crois pouvoir dire que j'ai probablement réussi, dans l'ensemble, à rendre l'enseignement du maître dans la forme voulue, dans une forme qui, d'une part, en conserve fidèlement le sens et le contenu et qui, d'autre part, en rend la compréhension accessible au profane et au débutant. Je l'induis du moins des nombreux articles consacrés au livre dans la presse et qui, autant que j'aie pu voir, étaient tous louangeurs. Car il s'est produit, sur ce point, cette chose si rare que toutes les tendances du mouvement ouvrier, et même la presse bourgeoise, se sont trouvées d'accord.

Je profite de l'occasion pour répéter encore à mes lecteurs qu'il ne faut pas oublier que l’œuvre de Marx est restée inachevée ; non pas seulement par l'extérieur, non pas seulement en ce sens qu'il ne fut pas donné à l'auteur de mettre la dernière main à la rédaction définitive, mais aussi quant au fond. La démarche de l'esprit s'interrompt brusquement. On ne doit donc point s'étonner si cette petite édition s'interrompt brusquement, elle aussi. Là aussi réside l'une des raisons de la difficulté de compréhension. Ici non plus, les alouettes ne tomberont pas toutes rôties dans le bec du lecteur. L'assimilation du contenu exige un travail. Mais justement ce travail se trouve considérablement facilité par la présente édition et j'espère que beaucoup lui devront de pouvoir lire aussi et comprendre l'original.

Peut-être mes lecteurs apprendront-ils avec intérêt qu'une édition anglaise du livre a paru entre temps, tandis qu'une traduction russe se trouve actuellement en préparation.

L'index ajouté à la présente réédition sera le bienvenu pour le lecteur désireux de découvrir ou de retrouver tel ou tel passage, de même que pour lui permettre de se retrouver dans l'ensemble du livre.


Julien BORCHARDT


Karl Marx

premier chapitre

L'économie politique traite de la façon dont les hommes se procurent les biens dont ils ont besoin pour vivre. Dans les états capitalistes modernes, les hommes se procurent uniquement ces biens par l'achat et la vente de marchandises ; ils entrent en possession de celles-ci en les achetant avec l'argent qui constitue leur revenu. Il existe des formes très diverses de revenu, que l'on peut cependant classer en trois groupes : le capital rapporte chaque année au capitaliste un profil, la terre rapporte au propriétaire foncier une rente foncière et la force de travail -- dans des conditions normales et tant qu'elle reste utilisable -- rapporte à l'ouvrier un salaire. Pour le capitaliste, le capital ; pour le propriétaire foncier, la terre et, pour l'ouvrier, sa force de travail, ou plutôt son travail lui-même, apparaissent comme autant de sources différentes de leurs revenus, profit, rente foncière et salaire. Et ces revenus leur apparaissent comme les fruits, à consommer annuellement, d'un arbre qui ne meurt jamais, ou plus exactement de trois arbres ; ces revenus constituent les revenus annuels de trois classes : la classe du capitaliste, celle du propriétaire foncier et celle de l'ouvrier. C'est donc du capital, de la rente foncière et du travail que semblent découler, comme de trois sources indépendantes, les valeurs constituant ces revenus.

Le montant du revenu des trois classes joue un rôle essentiel pour déterminer la mesure dans laquelle les hommes ont accès aux biens économiques; mais, d'autre part, il est clair que le prix des marchandises n'est pas moins essentiel. Aussi la question de savoir d'après quoi se fixe le montant des prix a-t-elle, dès les origines, considérablement occupé l'économie politique.

Au premier abord, cette question ne semble pas présenter de difficulté particulière. Considérons un produit industriel quelconque; le prix est établi par le fabricant, qui ajoute au prix de revient le profil habituel dans sa branche. C'est dire que le prix dépend du montant du prix de revient et de celui du profit.

Dans le prix de revient, le fabricant fait entrer tout ce qu'il a dépensé pour la fabrication de la marchandise. Ce sont, en premier lieu, les dépenses pour les matières premières et les matières auxiliaires de la fabrication (par exemple, coton, charbon, etc.), puis les dépenses relatives aux machines, aux appareils, aux bâtiments ; outre cela, ce qu'il doit payer en rente foncière (par exemple, le loyer) et enfin le salaire du travail. On peut donc dire que le prix de revient, pour le fabricant, se répartit entre trois rubriques :

1. Les moyens de production (matières premières, matières auxiliaires, machines, appareils, bâtiments) ;
2. La rente foncière à payer (qui entre également en ligne de compte lorsque la fabrique se trouve construite sur un terrain appartenant au fabricant) ;
3. Le salaire.

Mais pour peu qu'on examine ces trois rubriques de plus près, des difficultés insoupçonnées ne tardent pas à apparaître.

Prenons, pour commencer, le salaire. Plus il est bas ou élevé, et plus est bas ou élevé le prix de revient; plus donc est bas ou élevé le prix de la marchandise fabriquée. Mais qu'est-ce qui détermine le montant du salaire Y Disons que c'est l'offre et la demande de la force de travail. La demande de force de travail émane du capital qui a besoin d'ouvriers pour ses exploitations. Une forte demande de force de travail équivaut donc a un fort accroissement du capital. Mais de quoi le capital se compose-t-il ? D'argent et de marchandises. Ou plutôt, l'argent (comme on le montrera plus tard) n'étant lui-même qu'une marchandise, le capital se compose simplement et uniquement de marchandises. Plus ces marchandises ont de valeur et plus le capital est grand, et plus est grande la demande de force de travail et l'influence de cette demande sur le montant du salaire, de même que -- par voie de conséquence -- sur le prix des produits fabriqués. Mais qu'est-ce qui détermine la valeur (ou le prix) des marchandises constituant le capital ? Le montant du prix de revient, c'est-à-dire des frais nécessaires à leur fabrication. Or, parmi ces frais de fabrication, figure déjà le salaire lui-même ! C'est donc, en dernière analyse, expliquer le montant du salaire par le montant du salaire, ou le prix des marchandises par le prix des marchandises !

En outre, il ne nous sert à rien de faire intervenir la concurrence (offre et demande de forces de travail). La concurrence fait sans doute monter ou tomber les salaires. Mais supposons que l'offre et la demande de forces de travail s'équilibrent. Qu'est-ce donc, alors, qui détermine le salaire ?

Ou bien l'on admet, par contre, que le salaire est déterminé par le prix des moyens de subsistance des ouvriers. Ces moyens de subsistance ne sont eux-mêmes que des marchandises; dans la détermination de leur prix, le salaire joue aussi un rôle. L'erreur est évidente.

Une seconde rubrique, dans les éléments du prix de revient, était représentée par les moyens de production. Il n'est pas besoin de longues considérations pour montrer que le coton, les machines, le charbon, etc., sont également des marchandises auxquelles s'applique exactement ce qu'on a déjà dit de celles qui constituent les moyens de subsistance de l'ouvrier ou le capital du capitaliste.

La tentative qui consistait à expliquer le montant du prix à partir du prix de revient a donc lamentablement échoué. Elle aboutit tout simplement à expliquer le montant du prix par lui-même.

Au prix de revient, le fabricant ajoute le profit usuel. Ici, toutes les difficultés semblent écartées, car le tant pour cent (le taux) du profit qu'il doit s'attribuer est connu du fabricant, ce taux étant d'un usage général dans la branche. naturellement, cela n'exclut point que, par suite de circonstances particulières, un fabricant, dans certains cas, prenne plus ou moins que le profit d'usage. Mais, en moyenne générale, le taux du profit est le même dans toutes les entreprises de la même branche. Il existe donc, dans chaque branche, un taux moyen de profit.

Point seulement cela. Les divers taux de profit, dans des branches différentes se trouvent mis dans un certain accord par la concurrence. Il ne peut, en effet, en aller autrement. Car dès que des profits particulièrement élevés sont réalisés dans une branche, les capitaux des autres branches, où ils ne sont pas si favorablement placés, s'empressent d'affluer dans la branche favorisée. Ou bien les capitaux qui ne cessent de naître et qui cherchent des placements avantageux, s'adressent de préférence à de telles branches, particulièrement profitables; la production, dans ces branches ne tardera pas à s'accroître considérablement et, pour écouler les marchandises dont la quantité se trouve fortement augmentée, il faudra réduire les prix et, par conséquent, les profits. Le contraire se produirait si une branche quelconque ne donnait que des profits particulièrement bas : les capitaux abandonneraient cette branche au plus vite, la production y décroîtrait d'autant, ce qui entraînerait une augmentation des prix et des profits.

Ainsi, la concurrence tend à une égalisation générale du taux des profits dans toutes les branches, et l'on peut parler à bon droit d'un taux moyen général de profit, taux qui, dans toutes les branches de la production, sans être rigoureusement identique, n'en est pas moins le même approximativement. Toutefois, cela est loin de sauter aux yeux comme l'égalité du taux des profits à l'intérieur d'une même branche, vu que, dans des branches diverses, les frais généraux, l'usage et l'usure des machines, etc., peuvent être extrêmement différents. Pour compenser ces différences, il se peut que le profit brut - c'est-à-dire le tant pour cent effectivement ajouté au prix de revient par le fabricant - soit, dans telle branche, considérablement plus élevé ou plus bas que dans les autres. Circonstance qui dissimule la véritable réalité. Mais, déduction faite des frais divers, il reste cependant, dans les différentes branches, un profit net approximativement identique.

Un taux moyen général de profit existant donc, le montant du profit effectivement donné par une entreprise dépend donc de l'importance de son capital. Sans doute -- comme on l'a déjà mentionné -- il n'est pas tout à fait indifférent que l'entreprise fabrique des canons ou des bas de coton, le taux du profit variant selon la sécurité du placement, la facilité des débouchés, etc. Mais ces différences ne sont pas tellement importantes. Supposons que le taux moyen général de profit s'élève à 10 % ; il est clair, alors, qu'un capital de 1 million doit rapporter dix fois autant qu'un capital de 100.000 francs (naturellement, à condition que l'entreprise soit conduite comme il convient et sous réserve de tous les accidents ou de toutes les chances que peut connaître une affaire).

Il s'ajoute à cela que non seulement les entreprises industrielles -- c'est-à-dire les entreprises qui produisent des marchandises -- engendrent un profit, mais encore il en va de même des entreprises commerciales, lesquelles se contentent de transmettre le produit du producteur au consommateur; de même aussi, des banques, des entreprises de transports, des chemins de fer, etc. Et dans toutes ces entreprises, le profit, pourvu que les affaires y soient faites convenablement, dépend du montant du capital qui y a été placé. Quoi d'étonnant à ce que, dans la conscience de ceux qui s'occupent pratiquement de ces affaires, s'établisse la conviction que le profit naît en quelque sorte de lui-même, à partir du capital ; il en naît, croit-on alors, comme les fruits naissent d'un arbre convenablement cultivé. Toutefois, le profit n'est pas tant considéré comme l'un des aspects naturels du capital que comme le fruit du travail du capitaliste. Et en fait, nous avons dû toujours supposer une gestion convenable de l'entreprise. La compétence personnelle du chef d'entreprise est des plus importantes. Si elle fait défaut, le profit de l'entreprise tombera aisément au-dessous du taux moyen général de profit, tandis qu'un chef d'entreprise entendu pourra réussir à le faire monter au-dessus.


édition populaire (résumés-extraits) Par Julien Borchardt (1919) Texte français établi par J.-P. Samson.

Préface de la première édition Julien BORCHARDT. Berlin-Lichterfelde, août 1919.

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Karl Marx

Karl Heinrich Marx, Philosophe Allemand né le 5 mai 1818 en Allemagne dans la région de Rhénanie et la petite ville de Tréves.

Philosophe d'une théorie politique célèbre et activiste, il s'illustra en contestant le capitalisme de son époque et en reprenant une idée chère à Hegel, celle de l'évolution de l'histoire (selon lui, fruit de la lutte des classes)

Il est mort le 14 mars 1883 à Londres