Plotin. Les Ennéades, l'Un
Extrait de « Ennéades » par PorphyreIl faut que, contemplant cet Un qui est en lui-même comme à l'intérieur d'un sanctuaire et qui reste immobile au-delà de tout, nous contemplions les images stables qui tendent déjà vers l'extérieur, ou plutôt la première image qui s'est manifestée ; et elle est apparue de la manière suivante : pour tout mobile, il faut assigner un terme vers quoi il se meut ; comme il n'y a rien de pareil pour l'Un, posons qu'il ne se meut pas, mais que si une chose vient après lui, elle ne peut venir à l'existence que s'il est éternellement tourné vers lui-même… Si donc il y a un second terme après lui, il faut qu'il existe sans que l'Un se meuve, sans qu'il y incline, sans qu'il le veuille et, en un mot, sans aucun mouvement. De quelle manière donc ? Et que faut-il concevoir autour de lui, s'il reste immobile ? Un rayonnement qui vient de lui, de lui qui reste immobile, comme la lumière resplendissante qui environne le soleil naît de lui, bien qu'il soit toujours immobile. Tous les êtres d'ailleurs, tant qu'ils subsistent, produisent nécessairement autour d'eux, de leur propre essence, une réalité qui tend vers l'extérieur et dépend de leur pouvoir actuel ; cette réalité est comme une image des êtres dont elle est née ; ainsi le feu fait naître de lui la chaleur, et la neige ne garde pas en elle-même tout son froid. Les objets odorants surtout en sont la preuve : tant qu'ils existent, il vient d'eux tout alentour une émanation, réalité véritable dont jouit tout le voisinage. De plus, tous les êtres arrivés à l'état de perfection engendrent ; donc l'être toujours parfait engendre toujours ; il engendre un objet éternel, et il engendre un être moindre que lui. Que faut-il donc dire de l'être très parfait? Rien ne vient de lui que ce qu'il y a de plus grand auprès de lui. Mais ce qu'il y a de plus grand après lui, c'est l'intelligence, qui est le second terme. En effet, l'intelligence voit l'Un et n'a besoin que de lui ; mais lui n'a pas besoin d'elle. Ce qui naît du terme supérieur à l'intelligence, c'est l'intelligence ; et l'intelligence est supérieure à toutes choses parce que les autres choses viennent après elle ; par exemple, l'âme est le verbe et l'acte de l'intelligence, comme elle est elle-même le verbe et l'acte de l'Un. Mais le verbe de l'âme est indistinct ; en effet, comme image de l'intelligence, elle doit regarder vers l'intelligence ; et de même l'intelligence vers l'Un, afin d'être intelligence. Et elle le voit sans en être séparée, parce qu'elle est après lui et qu'il n'y a rien entre eux, comme il n'y a rien entre l'âme et l'intelligence […]. L'Un n'est aucune des choses qui sont en l'intelligence ; mais de lui viennent toutes choses. Et c'est pourquoi ces choses sont des essences ; car chacune d'elles a une limite et comme une forme ; l'être ne peut appartenir à l'illimité ; l'être doit être fixé dans une limite déterminée et dans un état stable ; cet état stable, pour les intelligibles, c'est la définition et la forme, d'où ils tirent aussi leur réalité. l'intelligence dont nous parlons est digne d'être engendrée par le plus pur des principes et de ne pas naître d'ailleurs que du premier principe ; une fois produite, elle engendre avec elle tous les êtres, toute la beauté des Idées et tous les dieux intelligibles. Mais, pleine des êtres qu'elle a engendrés, elle les engloutit en quelque sorte en les retenant en elle-même et les empêche de tomber dans la matière et de croître auprès de Rhéa. Selon l'interprétation des mystères et des mythes relatifs aux dieux, avant Zeus vient Cronos, le dieu très sage qui reprend toujours en lui les êtres qu'il engendre, si bien que l'intelligence en est pleine et rassasiée ; mais ensuite, une fois rassasié, on dit qu'il engendre Zeus ; de même l'intelligence engendre l'âme, quand elle arrive à son point de perfection […].
Le produit de l'intelligence est un Verbe, et la réflexion discursive est en réalité subsistante. Elle est l'être qui se meut autour de l'intelligence, la lumière de l'intelligence, la trace qui lui reste attachée […].
Nous ne nous étonnerons pas de voir complètement affranchi de toute forme, même intelligible, l'objet qui produit cet immense désir : dès que l'âme s'enflamme d'amour pour lui, elle se dépouille de toutes ses formes et même de la forme de l'intelligible qui était en elle ; elle ne peut ni le voir ni s'ajuster à lui, si elle continue à s'occuper De n'importe quel objet ; elle ne doit rien garder pour elle, ni bien, ni mal, afin de le recevoir seul à seul. Supposons que l'âme ait la chance qu'il vienne vers elle ou plutôt que sa présence se manifeste à elle lorsqu'elle s'est détournée des choses présentes et lorsqu'elle s'est préparée en se faisant aussi belle et aussi semblable à lui que possible, préparation et arrangement intérieurs bien connus de ceux qui les pratiquent : alors elle le voit subitement apparaître en elle ; rien entre elle et lui ; ils ne sont plus deux, mais les deux ne font qu'un ; plus de distinction possible tant qu'il est là (voyez-en l'image ici-bas chez l'amant qui veut se confondre avec l'aimé) ; elle ne sent plus son corps parce qu'elle est en lui ; elle ne dit plus qu'elle est un homme, un être animé, un être ou quoi que ce soit ; contempler de tels objets, ce serait rompre l'uniformité de son état, et elle n'en a ni le loisir ni la volonté. Elle le cherche, va au-devant de lui quand il se présente et voit non plus elle, mais lui. Qui est-elle donc pour voir? C'est ce qu'elle n'a pas le loisir de considérer. Elle n'échangerait rien contre lui, lui promît-on le ciel tout entier, parce qu'elle sait bien qu'il n'y a rien de meilleur et de préférable à lui ; elle ne peut monter plus haut et les autres choses, si hautes quelles soient, la forceraient à descendre. En cet état, elle peut juger et connaître que c'est bien là ce qu'elle désirait, et elle peut affirmer qu'il n'y a rien au-dessus. Là -bas, pas d'erreur possible : où trouver plus vrai que le vrai? … Elle ne craint aucun mal, tant qu'elle est avec lui et qu'elle le voit. Et si autour d'elle tout était détruit, elle y consentirait volontiers, afin D'être près de lui seul à seul : tel est l'excès de sa joie. […]
l'intelligence doit donc avoir deux pouvoirs, celui de penser, pour voir ce qui est en elle, et celui de voir ce qui est au-delà d'elle-même : c'est une intuition qui reçoit son objet. D'abord l'âme le voit seulement ; puis, en le voyant, elle devient intelligence et s'unit à lui. Le premier de ces pouvoirs est l'acte de contempler qui appartient à une intelligence sage ; le second, c'est l'intelligence qui aime. Hors d'elle-même et enivrée de nectar, elle devient intelligence aimante en se simplifiant pour arriver à cet état de plénitude heureuse : et une telle ivresse vaut mieux pour elle que la sobriété […]. Telle est la vie des dieux et des hommes divins et bienheureux : s'affranchir des choses d'ici-bas, s'y déplaire, fuir seul vers lui seul.
Qazi Said Qommi, Plotin
Saint thomas, le mal
Extraits de philosophes
Apulée, Aristote paraphrase, Aristote Nicomaque, Bergson, Ghazali
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