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Sénèque : De la constance du sage

Philosophie stoïcienne : Sénèque. De constancia sapientias

(4 Avant JC - 65 Après JC)

Il y a entre les stoïciens, Sérénus, et les autres sectes qui font profession de sagesse, autant de différence qu’entre l’homme et la femme, je crois pouvoir le dire : car bien que les deux sexes contribuent dans la vie commune pour une part égale, celui-ci est né pour obéir, celui-là pour commander. Les autres philosophes ont trop de mollesse et de complaisance, à peu près comme ces médecins domestiques et faisant partie de nos gens, qui donnent aux malades, non les meilleurs et les plus prompts remèdes, mais ceux qu’on veut bien souffrir. Les stoïciens, prenant une voie plus digne de l’homme, ne s’inquiètent point qu’elle paraisse riante à ceux qui s’y engagent : ils veulent au plus tôt nous tirer de péril et nous conduire à ce haut sommet tellement hors de toute atteinte qu’il domine la Fortune elle-même.
2. « Mais la route où ils nous appellent est ardue, hérissée d’obstacles ! » Est-ce donc par la plaine qu’on gagne les hauteurs ? Et même cette région n’est pas si abrupte que quelques-uns se la figurent. À l’entrée seulement sont des pierres et des rocs inabordables au premier aspect : ainsi mainte fois on croit voir de loin des masses taillées à pic et liées entre elles, tant que la distance abuse les yeux. Puis à mesure qu’on approche, ces mêmes lieux, dont une erreur de perspective avait fait un seul bloc, insensiblement se dégagent ; et ce qui, dans l’éloignement, semblait tout escarpé, se trouve être une pente assez douce.
seneque dans un baquet, enluminure3. Dernièrement, lorsque nous vînmes à parler à M. Caton, tu t’indignais, toi que révolte l’injustice, que son siècle eût si peu compris ce grand homme, et qu’un mortel supérieur aux Pompée, aux César eût été ravalé au-dessous des Vatinius ; tu trouvais infâme qu’on lui eût arraché sa toge en plein forum, comme il voulait combattre un projet de loi ; que des rostres à l’arc de Fabius, traîné par les mains d’une faction séditieuse, il eût longuement subi les propos insultants, les crachats et tous les outrages d’une multitude en démence. Je te répondais que si tu avais sujet de gémir, c’était sur cette république que d’une part un P. Clodius, de l’autre un Vatinius et les plus méchants citoyens mettaient à l’enchère, hommes aveugles et corrompus, qui dans leur cupidité ne voyaient pas que vendre l’État c’était se vendre eux-mêmes avec lui.

II.
1. Pour ce qui est de Caton, te disais-je, rassure-toi : car jamais le sage ne peut recevoir d’injure ni d’humiliation ; et Caton nous fut donné par les dieux immortels comme un modèle plus infaillible qu’Ulysse ou Hercule, héros des premiers âges, proclamés comme sages par nos stoïciens, comme indomptables aux travaux, contempteurs de la volupté et victorieux de toutes les terreurs.
seneque coiffé 2. Caton ne lutta point contre des bêtes féroces, exercice digne d’un chasseur et d’un rustre ; il ne poursuivit pas de monstres avec le fer et le feu, et ne vécut pas dans un temps où l’on pût croire qu’un homme portât le ciel sur ses épaules : déjà on avait secoué le joug de l’antique crédulité, et le siècle était parvenu au plus haut degré de lumières. Caton fit la guerre à l’intrigue, ce monstre à mille formes, au désir illimité du pouvoir, que le monde entier partagé entre trois hommes n’avait pu rassasier, aux vices d’une cité dégénérée et s’affaissant sous sa propre masse ; seul resté debout, il retint dans sa chute la république, autant que pouvait le faire le bras d’un mortel, senequetant qu’enfin entraîné, arraché lui-même, après l’avoir longtemps retardée il voulut partager sa ruine ; alors s’éteignit du même coup ce qui n’eût pas été séparé sans crime : Caton ne survécut point à la liberté, ni la liberté à Caton.
3. Or cet homme, penses-tu que le peuple ait pu lui faire injure en lui arrachant la préture ou la toge, en couvrant d’infâmes crachats sa tête sacrée ? Le sage est à l’abri de tout : ni injures, ni mépris ne sauraient l’atteindre.

III.
1. Il me semble voir ta verve qui s’échauffe et bouillonne ; tu es prêt à t’écrier : « Voilà ce qui ôte crédit à vos préceptes ; vous promettez de grandes choses qu’on est loin d’espérer, plus loin encore de croire ; et lorsque avec d’emphatiques paroles vous avez prétendu que le sage n’est jamais pauvre, vous ne niez pas qu’il manque souvent de valet, d’habit, de toit, d’aliment ; après avoir dit que le sage ne perd jamais la raison, vous ne niez pas qu’il puisse tomber dans la folie, tenir des discours peu sensés, et oser tout ce que la force du mal contraint de faire ; après avoir dit que le sage ne saurait être esclave, vous ne disconvenez pas qu’il puisse être vendu, exécuter les ordres d’un maître et lui rendre de serviles offices. Ainsi de vos airs si fiers, si sourcilleux, vous redescendez aussi bas que les autres : vous n’avez changé que le nom des choses.
2. C’est pourquoi je soupçonne quelque artifice pareil dans votre maxime, au premier abord belle et magnifique : Le sage ne recevra ni injure ni humiliation. Or il importe beaucoup de savoir si c’est au-dessus de l’indignation que tu le places, ou au-dessus de l’injure. Prétends-tu qu’il se résignera ? il n’a là aucun privilège ; il n’obtient qu’une chose vulgaire, et qui s’apprend par la continuité même des outrages, la patience. Mais si tu dis qu’il ne recevra pas d’injures, en ce sens que nul ne tentera de lui être hostile, toute affaire cessante je me fais stoïcien. »
3. Je réponds que je n’ai pas voulu décorer le sage d’un attribut imaginaire et de mots pompeux, mais le mettre en un lieu où nulle injure ne puisse porter. « Eh quoi ! il n’y aura personne qui le harcèle, qui le provoque ? » Sans doute rien de si sacré dans la nature qui ne rencontre un profanateur ; mais ce qui offre un caractère céleste n’en habite pas moins une sphère sublime, encore que des impies dirigent contre une grandeur fort au-dessus d’eux des coups qui ne l’atteindront pas. Nous appelons invulnérable, non ce qui n’est point frappé, mais ce que rien ne blesse. À ce signe-là reconnais le sage. N’est-il pas vrai que la force qui triomphe est plus sûre que celle qui n’a point d’assaillants ?
4. Si l’on doute d’une puissance non éprouvée, on doit tenir pour ferme et avérée celle qui a repoussé toutes les attaques. Apprends de même que le sage est de trempe meilleure, quand nulle injure ne peut lui nuire, que quand on ne lui en fait aucune. Le brave, à mes yeux, est l’homme que ni les guerres ne subjuguent, ni l’approche d’une force ennemie n’épouvante, non celui qui s’engraisse d’oisiveté au milieu de peuples indolents.
5. c’est sur un sage de ce premier modèle que l’injure est impuissante. Il n’importe donc quelle multitude de traits on lui lance, s’il est impénétrable à tous. Il y a de certaines pierres dont la dureté est à l’épreuve du fer ; aucun outil ne peut couper, ni tailler, ni user le diamant, qui les émousse tous par sa vertu propre ; il y a des corps incombustibles qui, enveloppés de flammes, gardent leur consistance et leur figure ; des rochers, dressés en pleine mer, brisent la fureur des vagues et ne portent nulle trace des assauts qui les battent depuis tant de siècles : ainsi l’âme du sage est inexpugnable ; et, grâce à ses forces acquises, elle est aussi assurée contre l’injure que les objets dont je viens de parler.


Traduction J. Baillard, 1914

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seneque inquiet sculpture

SENEQUE

Née à cordou -4
mort à Rome 65

Sa vie

Né à Cordoue dans une famille d'intellectuels, Sénèque rejoint Rome pour poursuivre des études de philosophie. Avocat, il s'illustre par ses talents d'orateur. Il entre au Sénat sous la tyrannie de Caligula. Mais compromis dans une affaire trouble, il est exilé pendant huit ans en Corse. A son retour, il occupe la charge de précepteur auprès de Néron qui deviendra, à la mort de son père adoptif, Claude, le nouvel Empereur. Sénèque reste jusqu'en 65 le conseiller de l'ombre. Mais ses projets de liberté politique et de justice sociale ne plaisent pas et, accusé d'avoir participé à une tentative d'assassinat, il reçoit l'ordre de mourir. On lui doit neuf tragédies, mais c'est surtout ses écrits moraux, sous forme de consolations, de dialogues ou de traités qui ont marqué. Son chef-d'oeuvre, 'Lettres à Lucilius', véritable manuel de vie, a inspiré des penseurs occidentaux comme Saint Augustin et Montaigne.

[...]

à la suite de sa mise en cause, Sénèque demande à Néron d'être relevé de sa charge d’« ami du prince » et propose de lui restituer sa fortune. Néron refuse.

En 64, bien que Sénèque se soit retiré de la vie publique, Néron, qui a fini par le haïr, tente vainement de l'empoisonner.

En 65, il est compromis malgré lui dans la Conjuration de pison et condamné à mourir. Il se donne la mort en s'ouvrant les veines sur l'ordre de Néron

« Ensuite le fer lui ouvre les veines des bras. Sénèque, dont le corps affaibli par les années et par l'abstinence laissait trop lentement échapper le sang, se fait aussi couper les veines des jambes et des jarrets. Bientôt, dompté par d'affreuses douleurs, il craignit que ses souffrances n'abattissent le courage de sa femme, et que lui-même, en voyant les tourments qu'elle endurait, ne se laissât aller à quelque faiblesse ; il la pria de passer dans une chambre voisine. Puis, retrouvant jusqu'en ses derniers moments toute son éloquence, il appela des secrétaires et leur dicta un assez long discours. [...] Comme le sang coulait péniblement et que la mort était lente à venir, il pria Statius Annaeus, qu'il avait reconnu par une longue expérience pour un ami sûr et un habile médecin, de lui apporter le poison dont il s'était pourvu depuis longtemps, le même qu'on emploie dans Athènes contre ceux qu'un jugement public a condamnés à mourir. Sénèque prit en vain ce breuvage : ses membres déjà froids et ses vaisseaux rétrécis se refusaient à l'activité du poison. Enfin il entra dans un bain chaud, et répandit de l'eau sur les esclaves qui l'entouraient, en disant: J'offre cette libation à Jupiter Libérateur. Il se fit ensuite porter dans une étuve, dont la vapeur le suffoqua. Son corps fut brûlé sans aucune pompe ; il l'avait ainsi ordonné par un codicille, lorsque, riche encore et très puissant, il s'occupait déjà de sa fin. Tacite

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